l’enquête dont nous sommes les héros

mardi 24 octobre 2006

Voici les premiers constats de l’enquête effectuées àMontluçon par AC ! CUM
sur une période de six mois

L’enquête dont nous sommes les héros

Pendant plus de six mois les militants d’AC ! CUM ont tenu une permanence
’délocalisée’ devant les portes de l’ANPE de Montluçon.
Pour tenir les usagers au courant de leurs droits, pour les informer, pour
les aider às’aider eux mêmes. En bref pour faire ce que nous faisons aussi
dans notre local.
Nous avons profité de l’occasion pour faire une enquête, faussement frivole,
sur le vécu, sur les problèmes auxquels est confrontée la majorité des
précaires et chômeurs et sur leur façon de gérer ces problèmes. L’enquête a
pris une forme inspirée des tests àchoix multiples.
Nous disons ’faussement’ frivole, car derrière les questions et les réponses
possibles (mais non exhaustives) ayant une formulation un peu rigolote se
cachait une trame de questionnement sociologique assez étudié et très
sérieuse. Nous avons pu la mettre au point grâce àl’expérience de la vie
quotidienne des précaires que les collectifs AC ! ont accumulé àtravers
les années partout en France.

Nous avons osé poser les questions vitales.

Les préoccupations de cette partie (de plus en plus importante) de la
société qu’on appelle ’les précaires’ tournent autour de l’essentiel.
Comment je vais me nourrir, me chauffer, me loger, bouger ? Dans notre
société, réaliser ces besoins nécessite la plupart du temps du travail
salarié sous une forme ou une autre. Comment je vis cette condition de
salarié et comment je vis son absence ? A qui je m’adresse en priorité si je
n’arrive pas àsatisfaire ces besoins ? Comment je réagis si ça devient
vraiment dur de vivre cette insatisfaction ?
Et comme cerise sur le gâteau : que ferais je de ma vie si ces contraintes n
’existaient plus ?
Certaines des ces questions concernent évidemment tout le monde, mais elles
sont sans doute plus exacerbées et plus urgentes chez les précaires.

Nous avons donc reçu des réponses vitales
Il ne faut pas prendre les évidences pour trop évidentes

Depuis quelque temps, les vieux fantômes et fantasmes du ’chômeur profiteur’
et du ’rmiste richissime’ resurgissent, actuellement accentué encore plus
par la frénésie électorale. Etant donné que le chômage se résorbe (en tout
cas selon les chiffres officiels) et que la croissance et avec elle la
bourse et l’économie en général se portent àmerveille, l’existence de ces
quelques chômeurs récalcitrants n’est explicable que de deux façons : ou il
s’agit d’handicapés sociaux’ (si vous préférez des personnes très éloignées
du marché du travail’) ou il s’agit de fraudeurs qui se la coulent douce
avec la manne financière que leur procurent les ASSEDIC, la COTOREP ou la
CAF sur le dos du pauvre contribuable ou pire, sur le dos des cotisations
sociales qu’on extorque ànos pauvres entreprises déjàprises àla gorge par
la concurrence mondiale.
Le Point (hebdomadaire réputé sérieux et respectable) nous a déjàdéniché un
rmiste roulant en Alpha-Roméo. Vérifications faites par nos soins cette
information s’avère tout àfait correcte, mais l’hebdomadaire Le Point a
oublié de mentionner que le bolide de luxe en question date de 1989 et a par
conséquent un peu perdu de sa valeur marchande.
Pour les média et notre gouvernement la conclusion est simple : les quelques
chômeurs encore ’en fonction’ sont des parasites vivant sur le dos des
honnêtes gens et la seule idée qu’ils ont en tête est de faire perdurer
cette situation hautement lucrative.
Une analyse, même très concise, de notre enquête indique exactement le
contraire.
Pour 69 % des gens qui fréquentent l’ANPE de Montluçon, le rêve idyllique,
le nec plus ultra du bonheur est simplement de trouver un ’vrai’ travail. S’
ils pouvaient atteindre cet état convoité, tant espéré (mais selon beaucoup
d’entre eux quasiment inaccessible), 62 % d’entre eux se sentiraient ’enfin
socialement utiles’. En outre 30 % d’entre eux s’enfoncent carrément dans la
déprime s’ils sont au chômage et 27 % culpabilisent au point de se sentir
’socialement inutiles’.
Quand nous disons que 69 % des interrogés souhaitent trouver un ’vrai
travail’, il faut encore ajouter ceux pour qui se contente-raient ’d’un
petit boulot’ (20%) ou de ’n’importe quel boulot’ (22%). De plus àla
question « Que feriez vous si un revenu conséquent et sans contrepartie vous
était offert ?  », ils sont presque 5% àdire qu’ils chercheraient quand même
du travail.
Avec de tels chiffres peut-on encore croire au cynisme de ceux qui, soit
disant, ’abusent du système’ ? La question n’est-elle pas plutôt : pourquoi
le système fabrique tellement de ’désabusés’ ?

A quoi rêve le chômeur ?

Pour une grande partie d’entre eux c’est un rêve modeste : payer ses dettes.
En effet, 43% indique cela comme la première chose qui changerait dans leur
vie s’ils avaient un travail’.
Cela pose, au-delàdes questions du surendettement galopant des français en
général et des pratiques plus que douteuses de certains usuriers ayant
pignon sur rue et pub àla télé, la question de l’efficacité de notre
système d’allocations de chômage ou d’allocations sociales. Est ce tout à
fait normal que ces allocations soient limitées àun tel niveau que
quasiment la moitié de leur bénéficiaires se trouvent dans la situation de
gérer un ’budget négatif’ ? Une société où on doit prendre des emprunts pour
assurer sa simple survie est-elle vraiment saine ?
Selon les chiffres de l’enquête, en tout cas, on ne peut pas éluder le
problème en parlant de « la nature foncièrement dépensière  » du précaire.

Il n’y a rien ày faire : le pauvre est vraiment pauvre !

Plusieurs de nos questions étaient axées sur la possibilité de satisfaire
ses besoins essentiels. Les résultats sont accablants : 45% des interrogés
ont déjàeu des problèmes de payement de loyer, 35% ont déjàeu leur
électricité coupée. Soyons clairs, le public visé et atteint par cette
enquête n’était pas exactement celui qui vit, comme on dit, dans’ l’extrême
pauvreté’. Ce n’étaient pas des ’marginaux’, c’étaient des usagers de l’
ANPE, des gens comme vous et moi, avec une seule caractéristique en commun :
ils n’ont, momentanément, pas ou peu accès au travail salarié.
Que cette seule caractéristique puisse engendrer de telles difficultés à
satisfaire les besoins les plus élémentaires laisse songeur et est
extrêmement inquiétant.
On pourrait s’attendre àdes réactions violentes contre une telle injustice.
Ne nous dit-on pas qu’il faut se méfier, voir craindre, le pauvre ? Ne nous
apprend-on pas qu’il est toujours prêt àvoler, àse prostituer, àtricher,
àtrafiquer, àcasser ? Eh bien non, d’après les résultats de l’enquête, le
pauvre, même jeune, est plutôt sage. Il cherche, même confronté àune
situation d’une extrême injustice, d’une extrême urgence, às’en sortir par
des moyens tout àfait convenables.

Le précaire est légaliste, sage et sait se sacrifier

Quand on lui coupe l’électricité il va rarement pirater une ligne ou
rétablir lui même le compteur (5%), en général il se contente d’aller
acheter des bougies (35%) en se mettant un pull de plus.
Quand on le botte en dehors de chez lui, la solution qui lui vient àl’
esprit le plus souvent est d’aller voir (tardivement c’est vrai) son
assistante sociale (48%) ou alors il retourne chez maman (23%).
S’il n’a pas les moyens de se payer le transport il fait travailler l’huile
de coude (ou de genoux) et il marche (44%) ou il se paralyse et reste chez
lui (18%). Seuls 16% sont assez téméraires pour monter dans un car, un bus
ou un train sans être muni d’un titre de transport réglementaire (même de
façon exceptionnelle).
Très, très peu des personnes interrogées correspondent au profil du
profiteur qui se la coule douce en arnaquant la société en général. C’est
vrai que 6% vont de temps en temps àla pêche, mais l’écrasante majorité est
tranquillement malheureuse. Entre ceux qui dépriment devant la télé, ceux
qui dépriment tout court, ceux qui s’embrouillent avec tout le monde et ceux
qui se sentent "socialement inutiles", on atteint les 76%.
Selon les résultats de notre enquête le précaire ou chômeur lambda n’a rien
du pacha bien heureux, il a plutôt l’air de vivre dans un état de mal être
permanent Faut il en plus le culpabiliser systématiquement ? Les subtiles
(ou lourdes) insinuations de nos médias et de nos gouvernants, mais aussi
les contrôles renforcés sont-ils nécessaires ? Ces contrôles mensuels (voir
hebdomadaires dans certains cas) pendant lesquels le précaire est sensé
prouver qu’il est un "bon chômeur", un "bon rmiste" sous peine de radiation
sont ils vraiment utiles pour lui ? Vont-ils vraiment lui apporter quelque
chose ?
Statistiquement, selon nos résultats, pas réellement.

Pour s’en sortir le chômeur compte sur lui même !

59% des interrogés sont clairs et nets sur ce sujet. Pour trouver du ’vrai’
travail ils comptent sur eux même et sur eux même seulement. Il est vrai que
l’ANPE (36%) et les bureau d’intérim (31%) se livrent une bataille acharnée
pour ce qui reste. Mais apparemment ce qui en résulte ne sont guère que des
contrats de courte durée, des emplois aidés, des contrats d’apprentissage ou
des stages peu formant. Pour le sérieux, le chômeur a compris : ’aide toi
toi-même, car personne d’autre ne le fera’.
Ces résultats révèlent une situation relativement sombre, mais les chiffres
de notre enquête ont-ils une valeur réelle ?

Nous ferons deux.trois.mille enquêtes

Sur le plan local la valeur de l’enquête est certaine. Avec plus de 350
réponses récoltées, parmi un public très ciblé et trié, nous avons largement
dépassé les normes d’un ’sondage’ professionnel. Il nous reste àen faire
une analyse sociologique plus sérieuse que ce petit compte rendu.
Néanmoins, une question se pose. Bien que l’enquête soit valable localement
elle ne l’est pas nécessairement au niveau national.
En effet Montluçon est une ville de province relativement petite. Elle est
aussi située dans une zone globalement rurale. Le vécu et la situation des
précaires peuvent être très différents dans la capitale, dans une grande
ville de province ou dans une ville de très petite taille.
Nous ne le savons pas. pour l’instant.
Mais, àl’intérieur d’AC !, l’idée a germé de répéter l’expérience de
Montluçon dans d’autres villes. En premier lieu nous pensons àLimoges
(ville de province de taille moyenne et universitaire), Bordeaux (ville de
province de grande taille, universitaire et industrielle), Guéret (ville de
province de très petite taille).
Nous espérons pouvoir réaliser cette expérimentation dans les mois qui
suivent afin d’affiner notre aperçu.
Puis, nous espérons pouvoir élargir l’expérience vers Paris et au moins une
de ses banlieues.

Et àquoi ça sert tout ça ?

Principalement ànous faire une idée de la façon dont les précaires eux même
perçoivent leur situation. Plutôt que de se demander ’combien’ il y a de
précaires en France et àquel ’taux de pauvreté’ ils sont exactement, nous
nous demandons comment ils vivent leur situation, quels sont leurs espoirs,
que veulent-ils, qu’attendent-ils de leurs vies et comment comptent-ils
réaliser ces envies.
Des résultats très étonnants sont déjàsortis de cette première enquête et
de son premier dépouillement.
Ainsi, nous avons constaté avec un certain étonnement que presque 22% des
personnes interrogées se lanceraient dans une activité non salariée dans le
secteur de l’humanitaire, du culturel ou du social s’ils en avaient les
moyens. C’est plus d’une personne sur 5. C’est impressionnant et devrait
nous faire réfléchir aux possibilités de développement du secteur non
marchand de l’activité humaine.

Pourquoi laisser un tel capital humain, une telle envie de création inerte,
simplement parce que le ’produit’ ne sera pas vendable sur le ’marché’.


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