Quelques croquettes...

Invisible... même à des yeux de militant. Lecteur, ne vous trompez pas, derrière l’émotion il y a notre colère !
samedi 20 décembre 2014

Billet d’humeur

Les croquettes du chat, l’expulsion d’un voisin

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Souvent étroits dans les logements sociaux, les ascenseurs incitent à la conversation des passagers. Propos rassurants, expressions de sympathies convenues, signes de pacification en espace confiné. Parfois, s’éloignant des anodins propos sur la-pluie-et-le-beau-temps, de plus alarmantes informations sont échangées.
- Vous savez, le voisin du septième à été expulsé ce matin de bonne heure ? M’informe une voisine de l’étage supérieur.
- Je ne le connaissais guère… bonjour… bonsoir…, répondis-je, gêné.
- C’est qu’il a perdu son boulot, il y a longtemps. Chômeur, il avait un retard de loyers de longue durée…
- N’a-t-il négocié un échéancier de la dette ? En HLM, c’est faisable.
- Oui, il a commencé, mais il ne pouvait plus… Un jeune pourtant, la quarantaine… un peu plus…

En fin d’ascension, les pieds sur le palier, par la réalité inquiété, doctrinaire, vindicatif tardif, je plaide.
- Il est resté seul, isolé, sans rien (nous) dire… Pudeur ? honte ? timidité ? culpabilité ? dépréciation de soi même ? Qu’aurions nous pu faire ? Accueillir – à notre façon - l’huissier, le serrurier et le policier ?
- Mais, on ne savait rien, se justifie mon informatrice, retraitée fort modeste de son état.
En tous cas, pour moi aussi, c’est dur. Je la paie toujours mon loyer ! A mon âge, 70 ans, SDF, c’est pas possible…
- Mumm,… c’est ainsi : ça fait peur l’expulsion d’un voisin. Il le faut d’ailleurs. Question disciplinaire… Soumission par persuasion insidieuse… Le message est bien compris dans l’immeuble où, nombreux sont c eux qui peinent à payer un loyer. Même en habitat social…
- Eh, oui ! renchérit, la retraitée précarisée, je paye mon loyer toujours en retard, le 11 ou le 12, en allant directement à la perception. Les retraites tombent le 10 du mois, alors…

C’est ainsi. J’ai déjà rencontré Paulette, le 10 du mois au supermarché, chargée et contente : elle vient de faire les provisions pour le mois. Petits suppléments, gâteries superflues à la boulangerie, en période faste. Présentement, au seuil du logis. Amabilités.

- Comment va votre chat ? S’enquiert Paulette.
- Fort bien. Et le vôtre ?
- … Justement… Je me demandais… si vous ne pourriez pas me prêter quelques croquettes… Avec mes dernières pièces, j’ai acheté une baguette fraiche à la boulangerie… Jusqu’au 10… la retraite… Mon chat…
Mon frigo est mort, j’ai dû en acheter un autre, un gros d’occasion, 50 euros en deux fois… C’est dur…

Seuil franchi, dans la cuisine, je lui prête ( ?!), « généreusement » inquiet, un paquet de croquettes et une boite d’aliment pour chat (terrine au saumon).

Le 11 du mois, dès le matin, croquettes et terrine furent restituées. Anodins propos et
- Vous savez, le voisin expulsé, qui ne payait plus son loyer. J’ai appris, il est retourné chez sa mère, dans le sud… A quarante ans, quand même !
- …
Puis, inquisitrice, Paulette observant ma bibliothèque chargée.
- Vous pourriez pas me prêter un livre ? J’ai plus rien à lire.
Déambulation, devant les rayonnages. Orientation guidée dans mon fatras. Finalement, elle repartira, Paulette, avec un roman de Jack London Martin Eden et une biographie de Rosa Luxemburg par Max Gallo.

Avec, équipés d’ardentes lectures, serons- nous, ma voisine, les nombreux locataires fragilisés, mieux armés pour résister ensemble, courageusement à la prochaine expulsion ?

Alain Véronèse.
. Les faits sont authentiques. J’assume l’enrobage littéraire. Le prénom a été changé.


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