Le mythe du revenu de base inconditionnel

mardi 9 février 2021
par  Alain Véronèse

Le mythe du revenu de base inconditionnel
Ivan Recio
Revue Jaggernaut n°3. Novembre 2020.

La revue compte près de 400 pages, éditée par l’association Crise et Critique participe à la diffusion des analyses et propositions de « La critique de la valeur », sur internet : palim-psao. La critique radicale du travail occupe l’essentiel de ce n°, « Abolissons le travail ! », critique amplifiée sur le site. Des textes solides, un peu jargonnants dans le dialecte d’un néo-marxisme en opposition aux divers marxismes historiques des mouvements ouvriers, dont la critique du travail est jugée nettement insuffisante.

Dans ce papier qui vise un lectorat proche ou militant du MFRB, les lignes ci-dessous sont focalisées sur la présentation et critique d’Ivan Recio : « Le mythe du revenu inconditionnel de base » (p. 347/389).

D’autre articles méritent lecture, pour ma part, j’ai lu avec vif intérêt « L’invention du travail. Historicité d’un concept chez André Gorz, Dominique Méda, Françoise Gollain, Serge Latouche (p. 293/341).
...Tenons-nous en à la critique acérée, assumée d’Ivan Recio.

« Le mythe, une construction imaginaire…
… qui se veut une explication des phénomènes cosmiques et sociaux, et surtout fondatrice d’une communauté à la recherche de sa cohésion. » Wikipédia.
Le titre annonce la couleur, le revenu de base inconditionnel (RBI, il s’agit bien du revenu de base modalités MFRB), est, selon l’auteur, une construction imaginaire sympathique qui ignore par méconnaissance ou éviction le fonctionnement concret du capitalisme.

Les écrits des principaux auteurs défendant le revenu de base (noté RBI) sont passés en revue. Philippe Van Parijs, Yannick Vanderborght, Baptiste Mylondo, André Gorz (à partir de 1997),… le Mouvement Français Pour un Revenu de base (MFRB) n’est pas oublié : « … le MFRB a fait depuis 2013 un grand travail non seulement de clarification, mais aussi répertorisation. Son but est la promotion du revenu de base afin d’accompagner son instauration. » (p.350).
L’article est solidement construit, la réfutation, le refus du RBI est appuyé sur une connaissance des textes et… une interprétation propre à l’auteur.

Présentation de quelques arguments.
En première approche Van Parijs est présenté de façon plutôt positive.
« Le revenu de base tel que l’envisage V.P. est un revenu qui vise à libérer de l’obligation de travailler […] doit être universel, inconditionnel et versé en espèce […] au sein d’une communauté bien définie. »

Présentation orthodoxe, celle du MFRB également. Et, retour au MFRB qui « insiste sur l’importance de pas voir le RBI comme un substitut aux aides sociales existantes. » (p.350).
Quelques pages plus loin, changement de ton.
« … c’est au nom de l’abolition du travail et de la forme de vie sociale capitaliste dans laquelle nous vivons que cette critiquons cette position qui se prétend radicale et potentiellement anticapitaliste. Elle n’est au mieux qu’un roue de secours pour allonger encore un peu plus la vie sous le capitalisme, pour que nous puissions mourir avec lui à petit feu tout en nous accomplissant encore un peu plus dans notre rôle social de consommateur et de travailleur. » (p.353).
Sévère, ça égratigne méchamment. Bien, quelle est, où trouve-t-on la radicale et/ou révolutionnaire réforme qui nous ferait quitter les rangs des travailleurs moutonniers consommateurs ?
Rien de lisible, dans les 40 pages de l’auteur ? Ailleurs ?

Le MFRB comme symptôme d’une insuffisante critique

« Le MFRB n’arrive pas à remettre en cause le capitalisme en son fondement le plus essentiel, la conséquence de cette analyse tronquée de ce qui pourtant détermine fondamentalement la forme de la vie sociale moderne, débouche sur la stratégie douteuse qui est celle du RBI, sans pouvoir abolir la propriété, le MFRB se propose de lui trouver une légitimité à posteriori. La propriété est vue à la fois comme indépassable et à la fois comme nécessitant d’être dépassée. (p. 354).
Analyse tronquée ? Donc trompeuse ?
Tronquer. Verbe : retrancher, raccourcir l’extrémité de quelque chose. Altérer un texte, un récit, par des suppressions . Sinon. : écourter, mutiler, estropier,… le dictionnaire.
C’est tronqué, trompeur, bancale du côté du MFRB. ? La critique est partiellement audible : jamais le capitalisme ne concédera un revenu qui permette d’échapper totalement à l’assujettissement salarial.
Il est vrai que la socialisation intégrale des moyens de productions (cf. le capitalisme), ne sera pas immédiate dans une économie globalisée. Nonobstant l’insuffisance, un revenu de base accordé dans un premier temps aux étudiants affamés qui en ce mois de février 2021 font la queue aux distributions alimentaires, faute d’être révolutionnaire, n’en n’est pas moins fort nécessaire.

L’erreur du MFRB, en général de tous les partisans du RBI procède selon l’auteur d’une insuffisante, superficielle critique du travail « dans la forme déployée de la valeur ; c’est à dire comme survaleur, la propriété privée (y compris celle des moyens de production), n’est pas – comme le croit également le marxisme traditionnel – mais une catégorie de la forme phénoménale prise par cette essence.Comme la forme déployée de la valeur, c’est à dire comme survaleur, la propriété privée n ‘est que le concept juridico-fétichiste du rapport tautologique et autoréférentiel du travail véritable essence du capitalisme »(p.355).
Traduction en jactance vulgaire : du prolo, il en faut au turbin pour faire du pognon. Bien que … la robotisation et l’intelligence artificielle augmentent chaque jour les effectifs des surnuméraires et autres « inutiles au monde ». De façon étonnante, déconcertante, la production cybernétique, la révolution numérique qui interrogeait déjà André Gorz (et d’autres…), n’est en rien (ou peu), présente dans la littérature de la critique de la valeur-dissociation.

Sans doute, au MFRB et alentours, la critique de la valeur travail est insuffisante (il m’arrive de le penser dans les rangs de l’association…).
Proche du MFRB, mais en pleine autonomie Baptiste Mylondo, est présenté moins négativement. Il attaque, il est vrai, avec quelque vigueur le culte du travail. Pour Recio, pour les tenants de la critique de la valeur, le travail, n’est pas une catégorie trans-historique, mais une spécificité du Mode de Production Capitaliste. L’attaque de Mylondo plaît à Recio.

Le MFRB, est moins sexy.
« L’insuffisance du MFRB est lourde de conséquence car « il opte pour une tentative de réduire les inégalités et non pas de les supprimer » (p.359).
La conclusion (p. 388) est sévère : « le RBI est une proposition mythique (reprise du titre), toujours fondée sur la perpétration du monde social corseté par le fétichisme de la marchandise »
Ainsi formulée, la critique sévère, peut-elle être entendue ?

Sont affûtées les « armes de la critique », parce que dépassant sans doute le cadre volontairement borné de l’article nous ne lisons aucune proposition, réforme significative, … pour favoriser une transition, voire l’exode hors la société salariale (André Gorz).
La « conversion » de Gorz au revenu de base en 1997 était inscrite dans une stratégie cohérente.
. revenu de base suffisant (pas misérable),
. importante réduction du temps de travail ,
. investissement convivial, intellectuel dans l’invention de nouvelles formes de sociabilités non économiques.
Face à l’insuffisance de la critique dénoncée par l’auteur, nous pourrions faire valoir l’insuffisance des propositions de la plupart des auteurs de la critique de la valeur-dissociation.

Modestes citoyens militants, c’est pierre à pierre que nous essayons de contribuer à « Bâtir la civilisation du temps libéré », petit livre d’un grand auteur défunt, déjà nommé, André Gorz.
Ceci dit, écrit, j’attends avec quelque impatience le n° 4 de la revue. Sachant que sans contradictions, il n’y a a pas de progrès.

Alain Véronèse.
Mardi 9 février 2021.