Le temps de travail à l’échelle de la vie, c’est combien ?

mercredi 8 février 2023
par  Alain Véronèse

On pressent et discerne comme un malaise dans la civilisation du travail. Résurgence d’une allergie soixanthuitarde ? Réticence au turbin qui fut éradiquée par les potions libérales de la Reagan-économie et les répressions féroces de la Dame de fer.

Nonobstant, la bataille pour les retraites est un symptôme de la crise de la valeur travail. Le réitéré credo de Monsieur Macron.

Si l’on en croit les chiffres fournis par la Fondation Jaurès (« Je t’aime, moi non plus, les ambivalences par rapport au travail »), plus de 60 % des Français souhaitent travailler moins, quitte à gagner moins, contre 40 % il y a 40 ans.

La crise sanitaire, le ralentissement productif qu’elle initia fut sans doute un accélérateur de la dévalorisation de la valeur travail.(1).

C’est bien à contre-temps, à contre-sens que les Maastrichtiens, le patronat du Médef et les nantis de l’aréopage de Monsieur Macron tente de reculer l’âge d’une retraite largement méritée bien avant 64 ans.

Avec un peu de recul historique, prenons le temps et l’élan pour refaire les comptes.

*

En 1982, tous les salariés bénéficièrent d’une importante réduction du temps de travail : 5 (cinq) années en moins. Fut instituée la retraite à 60 ans.(1)

Quelques décennies plus tard, la richesse produite que mesure le PIB, à fortement augmenté, avec une population plus nombreuse, la part de chacun est potentiellement en augmentation.

Le chômage est également en forte croissance. Pourquoi faut-il augmenter le temps de travail des seniors ?

On nous a servi, ad nauseam, le fameux (fumeux) rapport (ratio) actifs/retraités.

De moins en moins d’actifs-cotisants pour une population pléthorique de retraités.

Ce n’est pas la bonne question. Ce qu’il faut considérer pour le problème du financement des retraites, c’est de savoir s’il y en a assez pour tout le monde, actifs et inactifs. Une donnée immédiate de l’observation sociologique fait apparaître que nous vivons dans une société d’abondance (et d’inégale répartition), de gaspillages rentables, et de pollutions aggravées par le productivisme capitaliste (sans compter les pollutions mentales).

En économie réelle, un actif d’aujourd’hui est bien plus productif que son prédécesseur des années 80. Nous ne manquons pas de producteurs, bien au contraire, certains, chômeurs, sont réputés surnuméraires. L’amputation des maigres allocations chômage qui s’actualise dès février est une illustration du fanatisme de la valeur travail psalmodiée sur tous les tons par les néo-thatchériens qui nous gouvernent et nous bernent.

Second mantra des libéraux calculateurs : nous vivons plus longtemps, donc il faut travailler plus longtemps.

Cette implication, dont le donc affirme la nécessité, n’est pas, en prenant un peu de recul réflexif, immédiatement évidente.

Donc… allons voir dans le Larousse. Donc : « marque la conclusion d’un raisonnement, la conséquence d’une assertion. »

Compte tenu de… il faut travailler davantage. La réitérée doxa du président, des sycophantes au Médef affiliés.

Nous le savons, le profit, c’est du surtravail, source de la plus-value (survaleur), la morale du travail qu’il nous ressasse est le faux nez de leurs insatiables cupidités.

Le mouvement séculaire de réduction du temps de travail, en un siècle nous permet de travailler deux fois moins et, ce pour une production des dizaines de fois supérieure..

La documentation est abondante sur les effets de la production cybernétique qui réduit le besoin de main-d’œuvre. Les effets du ChatGPT ne sont pas encore vraiment sensible, pourtant…

Il est possible de travailler moins - beaucoup moins – tant dans la semaine qu’à l’échelle de la vie.

Les deux tiers de la vie pour une retraite-otium*

Le libéral est, c’est son destin, un homo œconomicus calculateur rationnel.

Les bons comptes font les bons profiteurs, c’est bien connu.

Les pourcentages, proportions, fractions, c’est le quotidien de l’investisseur.

L’un de leur porte-parole de s’étendre à la télévision sur la métaphysique de l’existence. « La retraite, cela doit être un tiers, la vie active, le travail deux tiers. Il faut être raisonnable. »

Fichtre ! Ne s’est-il, le calculateur, pris les pieds dans le tapis des tiers ?

La productivité croissante peut, doit être mise au service du travailler moins et non du produire plus. A contrario de l’obsolescence quantifiée, avec le minimum nécessaire, tant de matière que d’énergie, avec un temps de travail réduit, les valeurs d’usages durables devront être accessibles à des prix maîtrisés.

À l’avenir, il nous faut envisager une vie riche d’expériences, un loisir-otium occupant les deux tiers d’une existence de citoyen actif et créatif. Le privilège de l’oisiveté doit être démocratisé. Le privilège des aristocrates et des nantis a fait son temps.

Soyons réalistes : exigeons tout le possible, la retraite à 55 ans, pour toutes et tous, c’est nécessaire et possible. La comédie du travail n’amuse plus grand monde, la « grande démission » inquiète les nantis, pour tenter de sauvegarder leurs privilèges, ils rétribuent hordes et cohortes d’économistes, psychologues et journalistes de Cour.

Le domaine de la liberté commence là où se termine celui de la nécessité.

Il nous faut sérieusement réexaminer le bien fondé de la nécessité du travailler toujours plus que les Maastrichtiens veulent nous imposer.

Prendre le temps d’y réfléchir.

Alain Véronèse.

Mercredi 8 février 2023.

* Otium : Temps libre (libéré de la nécessité du travail), loisir actif pour s’adonner à la méditation, à l’étude studieuse. Temps de la retraite après une carrière dans la fonction publique ou le secteur privé.

L’otium romain fut précédé par la scholé grecque, d’où nous vient le mot école. Tout un programme...

1. Dans « La retraite en chantant. C’est tous les jours dimanche » ce thème est plus amplement développé. À lire dans Les Utopiques,n°13, printemps 2020 et sur quelques sites internet, dont celui d’Agir ensemble contre le chômage ! AC !


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