Examen du projet de loi Plein emploi devant le Parlement
Madame, Monsieur la-le député-e
Nous avons l’intime conviction que l’avenir de nos concitoyens risque d’être très sérieusement impacté par l’examen du projet de loi pour le plein emploi qui va commencer lundi prochain à l’Assemblée Nationale, après un premier vote au Sénat.
Ce projet de loi, en apparence anodin, bien qu’ambitieux si l’on se réfère à la présentation qui en est faite, risque d’enkyster durablement une large partie de la population dans des situations sociales et financières inacceptables pour un pays développé comme le nôtre. Un de nos anciens présidents évoquait la « fracture sociale » il y a quelques décennies. Le Président actuel nous y conduit à grandes enjambées…
Ce projet est construit sur la base d’un « mythe » : Le plein emploi ! Le Gouvernement nous explique que ce concept hérité des trente glorieuses permettrait de qualifier la situation actuelle de l’emploi. Or, comment est-t-il possible de comparer une période pendant laquelle il n’existait que très peu d’emplois à temps partiel, une large proportion des salariés conservait leur emploi pendant toute leur carrière, l’auto-entrepreneuriat était marginal, … avec l’état actuel du « marché » du travail, complètement « atomisé ». Vouloir qualifier la situation de l’emploi actuelle avec des vocables identiques à 50 ans d’intervalle est une hérésie scientifique.
D’abord, que sont « les chiffres du chômage » tels que présentés ? En réalité, nous avons actuellement deux références potentielles :
Les chiffres calculés selon la méthode inspirée du Bureau International du Travail, devenue référence unique en 2019,
Les chiffres données par Pôle Emploi (l’ANPE auparavant), tirés des inscriptions des salariés auprès de l’organisme qui gère actuellement ces questions.
Or, le chiffre officiel (selon le BIT) actuel, avec un taux de 7,2 % rapporté au 28.000.000 personnes en situation de travailler serait de 2.000.000 chômeurs sans aucun emploi. La situation de ces travailleurs privés d’emploi n’a rien à voir avec celle des quelques centaines de milliers de personnes qui, sortant de leurs études ou du service militaire, intégraient leur travail (qu’ils pouvaient également choisir !) après quelques mois, voire quelques semaines, de recherche. Il s’agissait vraiment là de chômage conjoncturel. Ce n’est plus le cas.
L’analyse des chiffres fournis par Pôle Emploi conduit à un total de chômeurs (à temps complet ou partiel) de plus de 6.000.000, toutes catégories confondues, soit un chiffre trois fois supérieur au nombre « officiel ». Il faut préciser que sur ce total, près de 90 % d’entre eux se retrouvent avec des revenus inférieurs au seuil de pauvreté. Et, il faut également ajouter à ces chiffres, tout ce qui concerne le non-recours (refus d’inscription, travail au noir, épuisement devant l’absurde…).
Est-ce sincère d’affirmer aujourd’hui que « le chômage n’a jamais été aussi bas depuis les années 70 » alors que la méthode de calcul vient de changer il y a quatre ans ? Pour nous, c’est tout simplement faux et nous pouvons le prouver. Les « chiffres du chômage » vs « le Chômage » !
La situation paraît tellement complexe, qu’une large analyse préalable ne peut être esquivée...
Ce projet de loi prévoit spécifiquement de faire évoluer le système RSA actuel, en généralisant le suivi des allocataires et en le renforçant.
D’abord, que sait-t-on vraiment de ce qui se passe actuellement dans ce dispositif ?
En premier lieu, ce système décentralisé à l’extrême a conduit à l’existence d’autant de systèmes que de collectivités territoriales concernées (en gros, les départements). Le fonctionnement, les modalités de gestion, les sanctions infligées aux allocataires varient dans des latitudes extrêmes, y compris quelquefois dans des petits territoires locaux inclus dans ces collectivités territoriales… Nous avons réalisé des études sur la question et elles sont à votre disposition.
Sur le plan national, ce dispositif en place depuis près de 15 ans n’a – à notre connaissance – fait l’objet d’aucune inspection spécifique de la part de l’IGAS (sauf en ce qui concerne l’impact de sa création sur les moyens à affecter aux CAF, partenaires dans la gestion du système !). Aucun rapport public connu sur son efficacité en termes d’insertion.
Si l’on se réfère au document intitulé « Concertation préalable » fourni ce printemps, le dispositif envisagé est « alléchant », mais nous dirons « trop beau pour être réaliste ». D’abord son financement va s’avérer problématiques dans la mesure où les Partenaires Sociaux – ou du moins ce qu’il en reste - ne semblent pas d’accord sur la ponction prévue sur les cotisations UNEDIC – quelques 4 milliards d’euros sur 3 ans – condition sine qua non pour que le financement soit tolérable pour les finances publiques. Il ne resterait finalement de ce projet que l’aspect « contrôle social », c’est à dire ce que l’on reproche à des pays où la démocratie n’est pas réellement le fondement du système politique…
Face à cette situation, nous vous prions donc de bien vouloir demander, avec vos collègues qui partagent notre analyse, la création d’une Commission d’enquête parlementaire sur les aspects présentés ci-dessus.
Cette Commission d’enquête (mixte ?) pourrait ainsi étudier l’existant et apporter des réponses précises à toutes les interrogations formulées ci-dessus. Il s’agirait évidemment d’obtenir ces réponses préalablement à toute évolution ultérieure des dispositions applicables aujourd’hui.
Nous vous remercions vivement de vous montrer à l’écoute de vos concitoyens, et, restant à votre disposition pour vous apporter tous les compléments d’informations souhaités,
Nous vous prions d’agréer, Madame, Monsieur la-le Député-e, l’expression de nos respectueuses salutations.
Alain COUDERT, Agir Ensemble Contre le Chômage (A.C. !) 63
Le réseau des collectifs d’A.C. !
Evelyne PERRIN, Stop Précarité
Arguments avancés pour demander la création d’une Commission Parlementaire
sur l’état actuel de la gestion du RSA en France
(Métropole, DOM et TOM)
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Le RSA a pris le relais en 2009 du Revenu Minimum d’Insertion, dispositif créé en 1988. Ce dernier visant à subvenir aux besoins basiques de chaque citoyen en difficultés économiques, était quasiment inconditionnel, les Conseils Généraux n’ayant pas les moyens d’organiser le suivi médico-social des allocataires. L’État finançait cette allocation en particulier via la CSG et en avait déjà délégué la gestion locale aux Conseils Généraux. La privation de cette aide était rarissime et ne concernait que des cas de fraude avérée.
Le financement du RSA était à l’origine assuré par par le fonds national des solidarités actives - supprimé en 2017 - et les Départements. La suppression de ce fonds a contribué à faire basculer une partie supplémentaire de la charge sur le budget des départements. Certains départements ont d’ailleurs attaqué l’État en justice (2020 et 2021) pour exiger une compensation intégrale des sommes affectées au RSA. Même si le fonds actuel est abondé par un impôt national assez sophistiqué (impôt additionnel sur les revenus du capital, …), la part revenant aux départements explose, d’autant que l’accroissement du nombre d’allocataires est très important.
Le droit au RSA est soumis à différentes obligations de la part de l’allocataire (devoirs).
Il s’agit notamment du caractère familial du système, à l’inverse du RMI, allocation individuelle. Tout citoyen la recevant peut être soumis à une procédure inquisitoire – anachronique ! - visant à rechercher s’il ne partage pas (même de façon intermittente !) avec un-e conjoint-e, sa vie et son logement… Ces enquêtes sont conduites généralement par la CAF locale.
Pour ce qui concerne les personnes que l’on considère (sur dossier) comme n’étant pas en état d’occuper un emploi, le RSA est servi, sous condition que le bénéficiaire accepte un suivi médico-social individuel et signe un Contrat d’Engagements Réciproques (CER), soit avec les services sociaux du Département, soit avec ses partenaires dans les activités de gestion du système (MSA, CAF, ...).
Pour ce qui concerne les personnes jugées aptes à rechercher un emploi, elles sont tenues de respecter le droit commun, à savoir s’inscrire à Pôle Emploi et rechercher activement du travail. A ce titre elles doivent négocier, signer et respecter un Plan Personnalisé d’Accès à l’Emploi (PPAE) avec Pôle Emploi.
Des statuts particuliers sont aussi prévus pour les jeunes mères (enfant de moins de 3 ans, suivies directement par la CAF) et les créateurs et/ou repreneurs d’entreprise qui peuvent être suivis par des organismes spécialisés dans l’accompagnement sur ces processus.
Il existe aussi un statut « mixte », dénommé « accompagnement global » mixant les approches recherche d’emploi et suivi social.
L’orientation initiale est organisée via des réunions d’information et orientation (RIO) organisées conjointement par les organismes gestionnaires (CD, MSA, CAF) et Pôle Emploi.
La gestion de ce système ultra-décentralisé est donc très difficile à appréhender dans sa globalité. Les règlements d’application locaux ont été déclinés un peu dans toutes les directions et sans doute personne n’est en mesure de résumer ce qui se passe sur l’ensemble de nos territoires.
Selon les majorités politiques locales, le niveau de sévérité dans les sanctions appliquées varie dans des proportions extrêmes. Les remontées de terrain de certains départements laissent même apparaître des fonctionnements singulièrement différents d’un secteur à l’autre de leur territoire…
La composition des équipes pluri-disciplinaires chargées d’éclairer le décisionnaire (Président-e du CD) peut être substantiellement différente d’un territoire à l’autre, notamment en ce qui concerne les représentants des allocataires. En première estimation, on peut considérer que dans de nombreuses situations, la hiérarchie des organismes susceptibles de représenter les allocataires n’est pas respectée (Associations de défense des chômeurs et Précaires — Syndicat de salariés — associations caritatives — …). Souvent lesdits représentants sont des « panels » d’allocataires qui ont suivi des formations sur le sujet. Rien n’est très transparent quant aux critères de choix des personnes en question…
L’interprétation faite par certains départements, du rôle des représentants des allocataires, peut sembler également très étrange. Dans un département métropolitain, il a été formulé par courrier officiel signé du Vice-Président chargé de la solidarité que ce rôle « ne consistait pas à défendre leurs intérêts, de façon globale évidemment, mais à vérifier la régularité de la procédure ». Si l’on précise que – entre-autres – le Département en question n’utilise pas la procédure LRAR pour notifier ses exigences à l’allocataire, on voit mal comment leur représentant pourrait vérifier quoi que ce soit !
L’immiscion du RGPD dans les procédures administratives complexifie encore plus la situation. En effet certaines interprétations conduisent à ne plus communiquer aucun élément du dossier examiné à certains membres (dont le représentant des allocataires) lors de l’étude des cas en séance. Les membres d’une même Équipe pluri-disciplinaire possèdent désormais des statuts différents et on se demande bien à quoi peuvent servir les participants qui ne disposent plus d’aucune information sur les dossiers traités…. Aucun suivi « longitudinal » n’est alors possible et c’est vraiment inadmissible par rapport à l’esprit de la loi de 2009.
Il faut préciser que dans le cas cité céans, les représentants de l’association qui siège dans ces équipes ont signé des engagements de confidentialité...
Si l’on ajoute que, selon les départements, les allocataires peuvent être sanctionnés de façon plus ou moins sévère, il apparaît que le système génère des inégalités très significatives entre les citoyens de ce pays. Cette situation est aujourd’hui de notoriété publique (des débats nationaux permettent de porter ces anormalités à la connaissance de tous !) et elle semble difficilement supportable aux yeux de la population en situation de précarité.
Le dernier argument qui peut être apporté est la prochaine réforme à intervenir cet automne, matérialisée par l’avènement de France Travail.
Nous ignorons aujourd’hui si la loi de 2009 va être refondue et quelle sera l’étendue des modifications apportées.
C’est pour cela qu’il apparaît inenvisageable d’empiler d’autres dispositions sur un texte présentant autant d’imperfections et approximations juridiques comme pratiques.
Seule une Commission Parlementaire dûment mandatée peut obtenir les renseignements indispensables pour tirer un bilan exploitable de ce qui se passe sur des territoires qui disposent de larges capacités à fonctionner de manière autonome, mais peut-être pas forcément conforme aux règles fondammentales de notre République ?
Des éléments plus précis peuvent être fournis, notamment par rapport aux études conduites par des associations de défense des précaires au sein de départements métropolitains.