Pour refonder l’indemnisation du chômage

par la Fondation Copernic
jeudi 27 mai 2004
par  le réseau d’AC !

Fondation Copernic
Pour remettre àl’endroit tout ce que le libéralisme fait fonctionner àl’envers
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Propositions de la Fondation Copernic pour refonder l’indemnisation du chômage

Jamais depuis plus de 50 ans, les attaques n’avaient été aussi brutales contre les chômeurs. Recalcul des allocations au mépris du contrat signé (le PARE) ente l’ANPE et les demandeurs d’emploi, réformes de l’ASS et du RMI transformé en RMA, projet de réforme libérale de l’ANPE, multiplication invraisemblable des radiations. Et puis, avec la « loi sur l’emploi  » annoncée, un renforcement supplémentaire du contrôle exercé sur les chômeurs. On le sait, toutes ces mesures procède d’un programme, le workfare, exposé et dénoncé plus longuement dans « Pour un Grenelle de l’UNÉDIC  », cette Note de la Fondation Copernic rédigée par des syndicalistes, des responsables d’associations de chômeurs, des sociologues et des économistes. Quel est l’objectif du workfare : faire baisser le coà»t du travail pour accroître les marges bénéficiaires des entreprises, et obliger les chômeurs àaccepter le plus rapidement possible des emplois les moins payés possible, dans des secteurs où, localement, les entreprises ont le plus de besoin de main d’Å“uvre. Toutes les mesures de ces dernières années vont dans ce sens : le PARE et ses fast-formations qui s’apparentent àun formatage des demandeurs d’emploi aux besoins immédiats des entreprises, la réduction des durées d’indemnisation qui contraint àdiminuer ses exigences en terme de qualité d’emploi et de salaire, le RMI décentralisé en RMA qui offre des emplois au plus bas prix possible, la réforme de l’ASS qui diminuera l’engagement financier de l’Etat.
Cela ne peut plus durer. C’est d’ailleurs absolument et totalement insupportable pour les chômeurs. Les propositions qui suivent, élaborées ensemble dans le groupe de travail Copernic « Pour un Grenelle de l’UNÉDIC  », espèrent alimenter les luttes pour une réforme complète de l’indemnisation du chômage, et une vraie démocratisation de l’UNÉDIC, où les princiopaux intéressés àl’indemnisation (les chômeurs) ne siègent toujours pas ! Etat libéral ou Etat social ? D’après la théorie économique dominante, la théorie néo-classique et ses variantes diverses, les « déséquilibres  », et en particulier le chômage, proviennent de « rigidités structurelles  » (Smic, droit du travail, services publics, pouvoir syndical, etc.). D’où les recettes libérales : il suffit de démanteler ces structures. Pour les sociauxlibéraux (Fabius, Strauss-Kahn, Blair ou Schröder), ce démantèlement semble impossible, pour des raisons éthiques ou de rapports de forces. Il faut donc que l’Etat intervienne, mais dans une orientation précise : réaliser le « programme du marché  ». Sur la question centrale de l’emploi et du chômage, làoù les libéraux réclament la suppression pure et simple du Smic et des allocations chômage, les sociaux-libéraux préconisent la prise en charge par l’Etat d’une partie du coà»t salarial (via les « aides àl’emploi  » et l’impôt négatif). Dans tous les cas, le socle théorique est identique : pour atteindre le « salaire d’équilibre  » supposé égaliser l’offre et la demande de travail (et donc éliminer le chômage), il faut réduire le coà»t du travail. Les instruments des politiques économiques publiques (budgétaire, monétaire ou de redistribution) qui viennent soutenir la croissance, et donc l’emploi, sont jugés inutiles et causes d’inflation. Il faut flexibiliser la main-d’oeuvre, diminuer les dépenses publiques.
La sophistication mathématique de cette théorie dominante cache mal son dogmatisme. Devenue fiction mathématique, pensée comme description « pure  » d’un réel fantasmé, la théorie libérale tend à« confondre les choses de la logique et la logique des choses  », comme le notait P. Bourdieu. Les modèles de rationalité dont elle s’autorise, mettent entre parenthèses les conditions historiques et sociales qui font que « la raison économique  » oriente rarement les pratiques. Que répondent les hétérodoxes ? Les approches marxistes, keynésiennes ou institutionnalistes convergent au moins sur une idée : le marché laissé àlui-même est inefficace et n’assure pas le plein emploi (ni la justice sociale, pourrait-on ajouter), même si l’objectif du plein-emploi mériterait d’être mis en débat. L’intervention publique est donc nécessaire pour imposer aux « marchés  » les normes sociales qui leur sont a priori étrangères : les droits sociaux, le plein emploi, un revenu décent... C’est la vocation de l’Etat social, et de ses quatre composantes : la protection sociale, le droit du travail, les services publics, les politiques économiques (budgétaires, monétaires, de redistribution des revenus). Ces vingt dernières années, un enchaînement de faits confirment la pertinence des thèses hétérodoxes.
Sous un vernis patelin, le gouvernement Raffarin reprend les politiques économiques qui ont échoué ces vingt dernières années. En grignotant davantage les droits des chômeurs, en refusant tout « coup de pouce  » au Smic, en baissant l’impôt sur le revenu au bénéfice des plus riches, en optant pour l’austérité budgétaire couplée àde nouvelles privatisations. Il se situe aux antipodes des besoins. Car, nous aurions besoin, àl’inverse, d’un plan de soutien àla consommation et aux investissements publics (pour ré-irriguer la France en services publics). La revalorisation des allocations-chômage contribuerait àrelancer la consommation mieux qu’aucune autre mesure.
Ce n’est pas seulement dans la défense, c’est aussi dans la redéfinition et l’extension de l’Etat social que la gauche peut retrouver le chemin de la contreoffensive. Historiquement imposée par les luttes, l’affirmation de l’Etat social, fut très progressive. Ce dont témoigne d’ailleurs l’évolution de la protection sociale.

D’abord réduite àla couverture éclatée de quelques « risques  » (fin du XIXème et début du XXème siècle), la protection sociale, sous l’effet des conflits sociaux (de 1945 jusqu’aux années 1970), fut peu àpeu élargie : maintien d’une large fraction du revenu en cas de maladie, de retraite ou bien de chômage. C’est cette logique qu’àprésent les libéraux mettent en cause, de trois façons : en réduisant les prestations sociales au minimum (le reste étant remis au « privé  » dans une logique de capitalisation) ; en baissant le coà»t du travail (les aides àl’emploi) ; en redéfinissant les prestations chômage pour en faire un instrument « actif  », qui inciterait les chômeurs àoccuper des emplois sous-payés (« l’activation des dépenses passives  »).
Il faut réformer profondément, et démocratiser, le fonctionnement opaque et bureaucratique des institutions de l’Etat social, en y associant les salariés du public, les citoyens, les usagers. Mais partir de leurs limites pour les dépasser est une chose, en prendre prétexte, cédant au MÉDEF et aux diverses forces du libéralisme, pour mettre àbas l’Etat social lui-même, en est une autre.
L’indemnisation du chômage concerne tous les salariés, avec ou sans emploi Les apologues du marché, drapés dans la « complexité  » du « réel  » pour n’y rien changer, nous trouverons réducteurs. Mais il faut bien choisir son camp : les intérêts du « monde du travail  » au sens historique, ou les logiques libérales. Ces « intérêts du monde du travail  », pour autant, ne sont portés àl’objectivité et àla légitimité du discours public, et n’existent comme points de ralliements, comme axes de mobilisation, qu’autant qu’ils sont énoncés. Mais qui va les dire ? Où vont-ils être exprimés ? « Le monde du travail  » n’a historiquement pris la forme d’un groupe qu’autant que ses représentants en tracèrent les frontières, et dirent, clarifièrent, regroupèrent des « réclamations  » initialement disparates, parfois confuses, souvent censurées. Traditionnellement écartés des lieux, et des procédures, où « les intérêts du monde du travail  » étaient formulés, parce qu’ils n’avaient pas les propriétés « légitimes  » des représentants légitimes, les chômeurs ne peuvent plus, et aujourd’hui ne veulent plus, être exclus de cette représentation. Du fait de leur nombre. Du volume croissant de la population précarisée. Et parce qu’ils font l’expérience d’un rapport au salariat particulier. Parce que leur relation au travail en sort reconfigurée. Exprimer ce qu’être au chômage signifie (qui varie bien sà»r selon les ressources et les trajectoires des chômeurs), les angoisses mais parfois les richesses liées àla propre gestion de son temps, dire le risque du chômage, les transformations des conditions d’existence, la vie « au jour le jour  », l’incertitude que le chômage et la précarité produisent, évaluer comment ce risque doit être collectivement géré : qui, mieux que les premiers concernés, est en condition de le faire ? Jusqu’àprésent « représentés  » par des représentants qui n’ont, la plupart du temps, jamais connu le chômage, et qu’ils n’ont pas mandatés, de plus en plus de chômeurs et de précaires tentent en effet de s’auto-représenter. Cela vaut d’abord pour ceux qui, après des scolarités prolongées, affrontent un chômage ou affrontent des postes en décalage avec leurs anticipations scolaires. Mais la revendication àl’auto-représentation ne se limite pas àcette population. Si les chômeurs pouvaient intervenir, notamment dans les institutions où se décide leur sort, nul doute que les « intérêts du monde du travail  » seraient plus complètement représentés, et présentés différemment. C’est le sens de ce « Grenelle de l’UNÉDIC  » quadri-partite, ouvert aux organisations de chômeurs, auquel nous appelons. Les pages qui suivent ne régleront pas tel ou tel débat compliqué autour du revenu d’existence, du revenu universel ou d’une économie distributive... Làn’est pas leur ambition. En lien avec les luttes contre le « tout marchand  » et pour les besoins sociaux, elles veulent simplement modifier les façons de voir l’indemnisation du chômage. Le droit du travail est àprésent grignoté par les stratégies d’externalisation, la précarisation, l’individualisation des droits, la « conditionnalisation  » de l’accès aux droits par le comportement et l’activation. Les salariés échappent de plus en plus aux conventions collectives, et au minimum de branches. Si bien que les droits semblent presque des faveurs. L’insécurité sociale se généralise, une nouvelle sécurité économique et sociale s’impose. Sans fétichiser l’Etat, sans croire en sa « neutralité  » dans les rapports entre groupes sociaux, nous devons l’interpeller puisqu’il est « faiseur de lois  », et puisque ses représentants le légitiment en le posant en garant de la solidarité, mais sans nous désintéresser pour autant de ce qui se passe dans les entreprises. Tenir, en même temps, les deux bouts de la chaîne, voilàl’enjeu : gagner de nouveaux droits dans la protection sociale d’une part, mais intervenir aussi pour une régulation plus stricte de la stratégie des firmes. Quelquefois mots d’ordre dans les manifestations ou titres de tracts, souvent fils conducteurs des luttes contre les licenciements et pour l’emploi, certains slogans sont aussi des programmes, qui n’exonéreraient pas les entreprises de leurs responsabilités, et qui sont àarticuler :

  • interdiction des licenciements dans les entreprises qui font des bénéfices.
  • pas de licenciements sans reclassements.
  • continuum de droits emploi - formation - revenu.
  • une autre politique de l’emploi et des revenus.
  • renchérissement du coà»t du chômage, du recours àla précarité et aux temps partiels.

L’assurance-chômage : lieu-test pour la régression des droits
Le montant, la durée, l’accès aux allocations-chômage déterminent pour une large part la capacité àchoisir son travail, sa formation, la capacité àrésister aux normes dégradées d’emploi. L’assurance-chômage, comme toutes les structures du service public de l’emploi, est ainsi au cÅ“ur de la conclusion du contrat de travail, au cÅ“ur de ce moment nodal des rapports de classe. Mais l’indemnisation-chômage est jusqu’àprésent restée le « parent pauvre  » du régime de protection sociale. Avant que les organisations syndicales et associatives de chômeurs s’en mêlent, les négociations successives de l’UNÉDIC se déroulaient dans l’indifférence. Si bien que l’assurance-chômage est depuis longtemps devenue comme un terrain d’expérimentation, àl’avant-garde de la dégradation des droits - sous l’influence des syndicats patronaux bien sà»r (qui contribuent financièrement), mais aussi de ces quelques confédérations ralliées qui gagnent postes et fonds en co-gérant l’UNÉDIC.

Abandon du poids prépondérant des représentants des salariés et suppression des élections :
Dès 1958, la création du régime UNÉDIC s’éloigna des principes du régime général de la Sécurité Sociale, en donnant aux représentants patronaux 50% des postes, et en supprimant toute élection des représentants des salariés. Les ordonnances de 1967 sur la Sécurité Sociale reprendront ensuite ces principes.

Renversement de la charge de la preuve :
En 1979, àl’occasion de la mise en place des Services du Contrôle de la Recherche d’Emploi dans les Directions Départementales du Travail, s’institue une innovation juridique particulièrement grave : le renversement de la charge de la preuve. Contrairement àtous les principes du droit français, où celui qui accuse doit fournir des preuves, les chômeurs sont depuis lors réputés coupables, c’est àeux de fournir les preuves de leur recherche d’emploi, de leur bonne volonté, de leur dynamisme...sous peine de radiation.

Contractualisation :
Depuis 1988, avec le RMI et le contrat d’insertion, puis en 2001 avec le PARE et le PAP, la contractualisation règle les relations entre indemnisés et institutions qui gèrent les fonds. C’est làaussi une transformation majeure, puisque ce n’est plus la situation qui déclenche le versement des droits, mais le comportement individuel dans la « réinsertion  ».

Renforcement du contrôle :
En 1991, la loi sur le contrôle de la recherche d’emploi (Titre IV de la loi sur la Formation Professionnelle), puis ses textes d’application, vont permettre d’imposer le temps partiel, les baisses de salaires : un refus vaut radiation donc suppression des allocations. On constate en la matière que les « partenaires sociaux  » et l’Etat se donnent souvent la main.

Quelle « norme d’emploi convenable  » ?
Il faut d’urgence inverser la tendance. Lieu-test en matière de régression des droits, l’UNÉDIC peut devenir, si nous nous en donnons les moyens, l’espace institutionnel d’où procèdera une répartition plus juste des richesses, et une sécurité économique et sociale renouvelée.
Aujourd’hui, le niveau très bas des allocations, les contrôles auxquels les chômeurs sont soumis, les mécanismes « d’intéressement  » (possibilité de cumuler des allocations et un emploi de quelques heures), l’exclusion des moins de 25 ans du RMI, obligent àaccepter des emplois aux normes détériorées : en termes de salaires, de statut, de conditions de travail, de qualifications, de droits. Si le salariat reste à80 % sur CDI (en France), les mouvements de main-d’Å“uvre, eux, sont à80% sur des emplois précarisés. Et lorsque l’on bascule dans la précarité, on a peu de chances de repasser de l’autre côté. Le gonflement du chômage et les dégradations de l’indemnisation, se répercutent sur l’ensemble des salariés qui, par crainte des licenciements, ou parce qu’ils sont sur statut précaire, révisent àla baisse leurs exigences en matière de revenus, de charge de travail, de stabilité. C’est cet enchaînement qui doit être stoppé. C’est possible. Mais, répétons-le, il faut collectivement nous en donner les moyens. Après le conflit de LIP, en 1973, les licenciés économiques furent indemnisés à90% de leur ancien salaire pendant un an (avec des phases dégressives). Des dizaines d’ASSÉDIC occupées par les chômeurs en 1996 conduiront àun allongement des paliers de dégressivité. Aujourd’hui, seule une mobilisation d’ampleur des chômeurs, des précaires et des salariés, et de nouveaux rapports de forces, peuvent imposer des transformations positives. Les syndicats espagnols ont récemment, et pour la deuxième fois le 21 juin 2002, appelé àla grève générale pour protester contre les remises en cause des allocations-chômage, que le gouvernement Aznar voulait imposer. C’est cet exemple qu’il faut suivre. Le mouvement des chômeurs de l’hiver 1997 en France, les Marches Européennes contre le Chômage, ont montré qu’il est possible d’agir collectivement.
En Europe, décideurs économiques et hauts-fonctionnaires, reprenant le concept du BIT, se référent sans cesse àla « norme d’emploi convenable  ». C’est une définition de l’emploi « en creux  » : l’emploi qu’on ne peut pas refuser. Il y a quelque temps encore, la définition de l’emploi convenable liait l’emploi futur au passé professionnel des salariés, àleurs formations, leurs qualifications, leurs salaires. A présent les textes européens substituent àcette définition ancienne une autre référence : « l’emploi auquel on peut raisonnablement accéder en fonction de ses compétences et de l’état du marché du travail  ». C’est de la sorte l’employabilité qui devient déterminante. Et comme les compétences sont supposées se dégrader plus la durée de chômage s’allonge, les chômeurs sont invités àrectifier leurs prétentions àla baisse : pourcentage de baisse de salaire, mobilité géographique obligée... Auparavant l’emploi convenable signifiait « l’emploi compatible avec les capacités  » (Code du Travail 1991). Désormais, c’est « l’emploi qui correspond effectivement aux compétences  », « l’emploi disponible selon les capacités  » (convention UNÉDIC 2000). On mesure la régression que ce déplacement constitue. Il est temps d’engager un vaste débat social pour codifier collectivement la norme d’emploi convenable. Pourquoi ce qui structure l’économie, et donc nos conditions d’existence, devrait-il rester en-dehors du contrôle citoyen, et sa définition rester propriété exclusive de ceux qui ne risquent jamais rien ?. Un « Grenelle de l’UNÉDIC  » devrait rediscuter, reformuler, la norme d’emploi convenable.
Il faudrait aussi discuter de formation professionnelle. Car depuis plus de 20 ans, les entreprises transfèrent sur la collectivité publique leurs charges de formation : plutôt que de former, elles licencient, et c’est la période de chômage qui sert de plan de formation. La situation n’a cessé de se dégrader, et, depuis le PARE, l’accès aux formations longues, aux formations de reconversion nécessaires, n’est même plus possible. Le patronat fait probablement le pari qu’il existe suffisamment de jeunes formés sur le marché du travail. Mais qui ne voit pas les limites, àlong terme, de cette stratégie d’ajustement ponctuel aux besoins immédiats des entreprises, qui s’opère de surcroît de façon très localisée, bassin d’emploi par bassin d’emploi. Selon les périodes, l’assurance-chômage a indemnisé des jeunes qui n’avaient jamais cotisé, ou bien des salariés âgés jusqu’àleur retraite. Des indemnités-formation ont déjàété versées jusqu’à110% de l’ancien salaire, lorsque les besoins en formation pour reconversions l’imposaient. Les frais de formation ont autrefois été pris en charge par les fonds sociaux des ASSÉDIC. Les économistes répétent en boucle que les formes modernes de la concurrence, l’internationalisation des marchés, obligent àune formation continue des salariés. Que l’UNÉDIC, l’ANPE, et l’AFPA, enfin renfloués en finances et en personnels, leur en donnent les moyens.
D’autre part, contrairement àce qu’assènent les libéraux, les dépenses d’assurance chômage et les minima sociaux ne constituent pas des « dépenses passives  ». Quand un gouvernement augmente l’allocation de rentrée scolaire ou toute autre prestation familiale, il proclame qu’il « relance par la consommation  » : pourquoi en irait-il autrement pour les allocations chômage ? Surtout qu’étant donné leur niveau, elles ne servent ni àépargner, ni àspéculer ! A l’inverse des baisses d’impôt sur les tranches les plus élevées, massivement développées ces dernières années.

Augmenter les allocations-chômage et les minima sociaux dynamiserait, l’ensemble du circuit économique.

I) Que faire ? De suite, rompre avec le PARE

Les premiers bilans de l’application du PARE, et de son corollaire le PAP, démontrent qu’il faut d’urgence une série de dispositions pour garantir un minimum de droits.

- 1) Tout équilibre financier d’une convention UNÉDIC devrait prendre en compte les risques d’évolution de la conjoncture économique. Ce principe minimal de précaution supposerait :

  • de cesser de baisser les cotisations lorsqu’il y a des excédents.
  • de constituer un fond de réserve pour faire face aux aléas de la conjoncture.
  • de revenir àdes taux de cotisations plus élevés.
  • d’enrichir les sources de financement en élargissant l’assiette des cotisations, en rendant les cotisations patronales plus chères pour les contrats précaires ou le temps partiel, en les articulant avec l’intervention de l’Etat.

- 2) Il faut abandonner, aussi, la logique, désormais instituée, qui veut que le comportement des chômeurs dans la recherche d’emploi détermine si le revenu de remplacement leur est versé ou non. Ni PARE ni PAP ne peuvent conditionner l’ouverture des droits et le versement des allocations ! La « contractualisation  », aujourd’hui en vigueur, conduit immanquablement àla soumission des demandeurs d’emploi. Il faut l’abandonner. Ce qui doit être indemnisé, c’est le fait d’être sans emploi, pas la « démarche d’insertion  ».

- 3) L’offre de services adaptés àchaque demandeur d’emploi, proposée par diverses institutions (ANPE, ASSÉDIC, prestataires...), et le « suivi individualisé  », peuvent certes s’avérer positifs, mais àdeux conditions :

  • que les demandeurs d’emploi aient toujours la possibilité de ne pas accepter les propositions de prestations ou d’offres d’emplois, sans qu’il leur en soit tenu rigueur par la radiation, la suppression des allocations ou toute autre sanction. Ces institutions ne doivent plus avoir le droit d’imposer aux chômeurs un emploi, une formation, un atelier de recherche d’emploi, ou toute autre prestation, sous peine de suppression des allocations, a fortiori quand ils ne correspondent même pas aux qualifications et au salaire antérieurs.
  • que les différents opérateurs du service public soient enfin dotés de moyens humains et matériels correspondant àl’objectif fixé.

II) Quatorze priorités

Dans l’architecture actuelle (ASSÉDIC, ANPE, Etat), quatorze réformes permettraient aux chômeurs de subvenir (minimalement) àleurs besoins élémentaires. Nous proposons donc :

- 1) d’indemniser toutes les formes de chômage, quel que soit l’âge, la situation familiale, le passé professionnel, que l’on soit licencié, en fin de contrat ou démissionnaire, dans le privé ou dans le public. Car seule la garantie d’un revenu permet de choisir son emploi ou sa formation. A la « norme d’emploi convenable  », nous voulons ajouter des ressources convenables.

- 2) qu’en cas de démission d’un emploi, une commission examine immédiatement (et non au bout de 4 mois comme c’est le cas actuellement) la demande d’allocation. Dans cette commission, siègeraient les représentants élus des 4 composantes du système unifié (syndicats, organisations de chômeurs, Etat, entreprises). Il faut débattre des conditions pour que les démissions ouvrent les mêmes droits qu’un licenciement ou une fin de contrat. Pour mémoire, àcertaines périodes, le régime payait des « Garanties de ressources  » (sorte de préretraites) même dans les cas de démission.

- 3) que les droits soient individuels au lieu d’être liés aux ressources du foyer (comme c’est le cas avec l’ASS et le RMI).

- 4) que, les contrats de très courte durée se multipliant, la durée requise pour obtenir des allocations soit réduite, àdeux mois dans les 18 derniers mois. Mais il faudrait envisager qu’àterme, aucune durée antérieure ne soit exigée. Cela permettrait notamment d’indemniser les jeunes àla recherche de leur premier emploi : ce n’est pas impossible, les ASSÉDIC l’ont déjàfait.

- 5) que la durée de versement des allocations ne soit plus liée àla durée de travail antérieure. Les allocations doivent être versées tant que le chômeur en fait la demande, et tant qu’il n’a pas trouvé une formation ou un emploi qui lui conviennent : au début du régime ASSÉDIC, la période de versement (brève, il est vrai) n’était pas liée àla durée d’affiliation.

- 6) que la loi de 1991 sur le contrôle des chômeurs soit abrogée ; elle soumet les demandeurs d’emploi àune pression constante pour qu’ils acceptent temps partiels, baisses de salaire, contrats précaires, prestations d’adaptation en tous genres sous peine de radiation et de suppression des allocations. Dans l’attente de cette abrogation, il faut au minimum instituer une instance de recours contre les sanctions de toutes espèces, une instance où les chômeurs soient présents ; et les instances qui décident des sanctions ne devraient plus être juges et parties.

- 7) que le SMIC devienne le minimum de référence que l’on ait un emploi ou qu’on n’en ait pas. Rappelons au passage, que la recherche d’emploi ou la participation àdes stages de formation coà»tent cher (transports, équipements, nourriture, garde des enfants...) - voir les exemples de budgets ci-après.

- 8) pour les réinscriptions suite àune période d’activité, que le calcul du taux d’allocation soit versé en prenant en compte le taux le plus élevé pendant la période la plus longue, comme ce fà»t le cas jusqu’en 1992. Alors qu’aujourd’hui le calcul qui évalue le « capital  » de droits acquis est toujours défavorable au salarié qui se réinscrit.

- 9) qu’en cas d’activités réduites (pour ceux qui ont plusieurs employeurs en même temps, comme dans le nettoyage, et qui en perde un) le calcul des indemnités s’opère dans l’intérêt du salarié, en prenant en compte la totalité des contrats.

- 10) que toute ouverture de droits suite àla rupture d’un contrat de travail s’effectue au taux plein, quel que soit le nombre d’heures effectuées dans le contrat. Car, àl’heure actuelle, la rupture d’un contrat àtemps partiel, le plus souvent contraint, entraîne des indemnités partielles. Indemniser sur la base d’un taux plein, rendrait sans intérêt financier le fait de prendre un emploi àtemps partiel. D’ailleurs, aucun contrat de travail ne devrait pouvoir être conclu àtemps partiel, sinon sur la demande du salarié (le plus souvent de la salariée), le retour àtemps plein étant dans ce cas de droit.

- 11) que, pour les intermittents, le mécanisme de double cotisation soit abrogé.

- 12) que l’accès àdes formations qualifiantes, donc de longue durée, soit de nouveau ouvert. Ce ne sera possible que si la rémunération pendant toute la durée de formation, et la prise en charge des frais de stage, sont garanties.

- 13) que l’accès àdes fonds sociaux et àdes aides d’urgence soit rétablis et élargis pour répondre àtoutes les situations qui aujourd’hui le nécessitent.

- 14) que tout ce qui concourre àla recherche d’emploi, et au maintien d’une certaine qualité de vie pour les chômeurs, soit gratuit et accessible.

A présent les chômeurs sont considérés comme « passifs  », comme devant être « activés  » dans leur recherche d’un emploi, peu importe lequel. On entrevoit sans peine qui en tire bénéfice. « L’activation des dépenses  », dissimule une politique d’aide aux entreprises (d’aide aux emplois précaires) qui n’ose pas dire son nom, et qui s’opère sans contrepartie. Mais le versement d’allocations, de revenus de remplacement ou de minima, n’est jamais une dépense « passive  », c’est de la distribution de pouvoir d’achat.

III) Inventer une nouvelle Sécurité Economique et Sociale

C’est, on l’aura compris, l’architecture même de l’indemnisation du chômage qu’il faut repenser. L’UNÉDIC ne couvre que la moitié des chômeurs, et une partie des minima sociaux fait office d’allocations-chômage. Les salariés précaires, celles et ceux qui ont plusieurs employeurs, celles et ceux àtemps partiel contraint, sont par ailleurs très mal couverts. Le chômage résulte de choix extérieurs aux salariés et sur lesquels ils n’ont pas prises (cf. Note Copernic sur la Refondation Sociale). Il n’y a par conséquent aucune raison qu’ils en fassent les frais. Il n’est pas admissible qu’environ un chômeur sur deux perçoive des allocations chômage, d’un montant inférieur en moyenne à6OO euros mensuels, et que les autres relèvent de minima inférieurs àun demi-SMIC, ou qu’ils n’aient droit àrien (les jeunes de moins de 25 ans exclus du RMI en particulier). Colmater de nouveau les brèches, boucher une fois de plus les trous budgétaires, ne suffit plus.
La Constitution française de 1946, reprise dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, articule trois affirmations : « Chaque citoyen a le devoir de travailler, chacun a droit a un emploi, et faute d’emploi, il a droit àdes moyens convenables d’existence  ». Ces articles suggèrent d’évidence que l’emploi, et des moyens d’existence pour toutes et tous, sont des droits politiques. Y contrevenir, comme c’est le cas depuis des dizaines d’années, devrait être sanctionné. Il est donc nécessaire d’inventer une nouvelle sécurité économique et sociale. D’inventer ce « Plan complet de Sécurité Sociale pour assurer àtous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail, avec une gestion relevant des représentants des intéressés et de l’Etat  », qui était l’ambition du Conseil National de la Résistance, et d’où proviendra le Régime Général de Sécurité Sociale.

Un continuum des droits

Mais qui dit Sécurité Sociale dit sécurité, et, dès lors, continuum des droits. Dans un monde où les mouvements de main d’Å“uvre sont de plus en plus précarisés, l’indemnisation du chômage ne peut comme auparavant se limiter àrendre supportable, au cours de la vie professionnelle, une ou deux courtes périodes de chômage. Considérer la totalité de la vie devient une obligation. De la sortie de l’école àla retraite, la succession des périodes d’existence, même quand on ne les a pas choisies, doit pouvoir s’enchaîner avec une réelle SECURITE. Une sécurité économique et sociale digne de ce nom suppose donc un « continuum de droits  », qui :

- 1) doterait tout travailleur d’un statut non pas seulement lorsqu’il a un emploi, mais aussi quand il en est privé.

- 2) assurerait, au-delàde la position productive ponctuelle, la continuité des ressources, et un rapport assuré àl’avenir.

- 3) autoriserait la mobilité individuelle. En favorisant les possibilités de changer d’emploi, ce statut neuf des salariés obligerait du même coup les entreprises àpromouvoir des emplois de qualité pour conserver leur main-d’Å“uvre. A condition, bien sà»r, que l’on garantisse aux chômeurs une rémunération digne de ce nom.

Par-delàles fluctuations de l’emploi, si l’on offrait àchacun un statut professionnel garanti c’est au fond la figure même du chômeur qui disparaîtrait - mais aussi « l’armée de réserve  » des chômeurs et ce qu’elle autorise comme pressions sur les salariés. A l’opposé d’un système d’assistance individuelle voire familialiste, un tel statut s’inscrirait dans un système de droits et de protections individuelles et collectives.

Unification des systèmes

Aujourd’hui, l’ASS, et le RMI, sont de facto des allocations chômage, tout comme une partie des autres minima sociaux. Le rapport Join-Lambert l’avait établi, dès 1998 : l’augmentation du nombre des RMIstes provient directement des diverses réformes de l’UNÉDIC. Dit autrement : le patronat fait de plus en plus porter sur la collectivité nationale les conséquences de ses choix en matière de gestion des entreprises, et de précarité de la main d’oeuvre employée. Depuis le PARE, et par le biais du financement des aides àla formation, les employeurs contrôlent maintenant la formation privée et tentent de contrôler l’activité du service public, par le biais des conventions ANPE-UNÉDIC et ANPE-UNÉDIC-Etat (en 2003, 26 % du budget de l’ANPE provient des financements UNÉDIC). Toutes ces dernières années, l’Etat et le service public n’ont pas été les garants de l’intérêt des chômeurs et des salariés, pas plus qu’une gestion paritaire comme celle de l’UNÉDIC où, de fait, le patronat fait la loi, avec l’aide intéressée d’une ou deux organisations syndicales.
Une protection sociale refondée, qui garantirait un revenu quelles que soient les formes de chômage, suppose donc une unification des régimes actuels, un système unique qui allieraient les composantes actuelles du service public et l’UNÉDIC, dans le cadre d’une Charte de Service Public avec contrôle quadripartite. On aurait làune nouvelle branche d’un régime de Sécurité Sociale rénové.
Les formes institutionnelles d’indemnisation du chômage ont depuis l’origine divisé les sans-emplois : partitions entre les ayant-droits et les autres, discriminations entre catégories différentes d’ayant-droits (certains ayant davantage de droits que d’autres). Nous voulons un système unifié d’indemnisation, un continuum d’indemnisation, une indemnisation indiscriminée.

Démocratiser

Mais cela n’offrira des garanties supplémentaires que si cette instance est profondément démocratisée. Ce qui signifie :

  • que toutes les parties intéressées doivent avoir un droit de contrôle : les confédérations syndicales comme les organisations de chômeurs, l’Etat, les organisations patronales.
  • que les représentants doivent être élus, ce qui autoriserait des débats réels sur des programmes différents, en donnant àchaque organisation un poids en fonction de sa représentativité (rappelons qu’àl’UNÉDIC et dans les ASSÉDIC, ce sont seulement les cinq confédérations jugées représentatives qui siègent avec chacune un siège, donc une voix).

Certains objecteront peut-être que les organisations syndicales ont déjàpour tâche de représenter et de défendre les salariés, qu’ils aient un emploi ou non. Mais pourquoi faudrait-il que les usagers d’un service public ou d’une institution ne puissent jamais être représentés ? Nous voulons ouvrir un débat sur de nouvelles formes d’articulation entre l’Etat et les instances paritaires, sur de nouveaux droits pour les salariés, les citoyens, les usagers.

Remettre les chômeurs dans le « droit commun  » du point de vue de l’exercice démocratique est un enjeu politique central alors qu’aujourd’hui une grande partie d’entre eux se sentent totalement « abandonnés  », « fliqués  », « soumis  ». L’exercice de ces nouveaux droits doit s’accompagner de moyens concrets pour les mettre en oeuvre :

  • le droit pour les organisations collectives, associatives ou syndicales d’afficher leurs positions dans les différents services, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui dans les antennes ASSÉDIC.
  • le droit de s’adresser régulièrement àtous les chômeurs. De la même manière que les associations de parents d’élèves peuvent correspondre avec leurs mandants, on pourrait imaginer que deux ou trois fois par an les organisations de chômeurs adressent un courrier aux chômeurs àl’occasion de l’envoi de la carte d’actualisation. Cette intervention porterait, par exemple, sur le fonctionnement quotidien ou les choix stratégiques du service public de l’emploi, des ASSÉDIC, des organismes de formation.

Un fonctionnement « quadripartite  » permettrait, enfin, d’intégrer la diversité des points de vue : l’Etat comme garant de l’ordre public social et des principes de service public, toutes les organisations syndicales, les organisations syndicales et associatives de chômeurs sur une base élective, le patronat eu égard àsa responsabilité dans le marché du travail. A condition de construire, parallèlement, des instances de recours pour les usagers qui ne soient pas àla fois juges et parties, comme c’est le cas àprésent, avec les commissions départementales de la DDTEFP notamment.

IV) Quel financement ?

Toutes prestations confondues (le RMI compris, qui est géré par les CAF), les prestations « chômage  » représentent aujourd’hui moins de 10% de l’ensemble des dépenses de protection sociale, soit moins de 5 % du PIB. Les ressources àmobiliser pour améliorer immédiatement, et qualitativement, la rémunération de l’ensemble des chômeurs (en incluant ceux qui ne sont pas enregistrés comme tel ou pas indemnisés) resteraient en fin de compte limitées par rapport àla richesse nationale. Quel que soit le scénario retenu : 15 ou 20 milliards d’euros permettraient àtous ceux qui ne sont pas indemnisés, ou moins indemnisés que le Smic, de l’être au niveau du Smic. Ce qui représente moins de 1,5 % du PIB . Un alignement immédiat plus bas que le Smic (650 euros par exemple - 4 200 francs - soit au-dessus du seuil de pauvreté) ne place l’opération qu’à, environ, 1 % du PIB. C’est très peu, sans compter que les sommes distribuées alimenteraient la consommation des ménages, et donc la production. Sans compter, non plus, que des économies substantielles pourraient être réalisées par l’amélioration des conditions d’existence des chômeurs. Car le coà»t social « caché  » du chômage, en termes de santé, d’usure psychologique, d’échec scolaire, d’endettement, n’est jamais budgétairement intégré.
A l’aube de ce millénaire, les libéraux n’offrent comme « nouvelle frontière  » que le développement des « petits boulots  » à« faible coà»t du travail  ». Nous leur opposons une autre « frontière  » : celle d’une société qui a minima assurerait un statut digne de ce nom àtoute sa population. Une société qui offrirait des emplois de « qualité  » (en termes de rémunération, de formation, de conditions de travail, d’utilité écologique et sociale), qui organiserait la production sur d’autres modes pour d’autres finalités, et qui assumerait ses responsabilités sociales en cas de chômage. Comment garantir le financement de cette protection étendue ? Plusieurs débats sont àouvrir.
Le premier débat porte sur les moyens àmettre en Å“uvre pour sortir de la gestion à« courte vue  » du financement des allocations. Cette gestion « nez sur le guidon  » est délibérément organisée par le MÉDEF. Puisque dans les périodes de reprise et donc d’excédents (plus de recettes de cotisations et moins de dépenses), le MÉDEF exige une baisse des cotisations, pour mieux légitimer, ensuite, dans les périodes de récession, une baisse des prestations, au nom des déficits enregistrés. La solution àces déséquilibres chroniques de financement passe par la constitution d’un « fonds de réserve  » permettant d’amortir « par le haut  » les phases de récession (sans réduire les prestations, donc).

Le second débat àouvrir porte sur la création d’un système de malus, destiné àpénaliser les entreprises qui abusent des emplois précaires ou des licenciements. Différentes formules sont envisageables : mise en place d’une « surcotisation sociale  », ou bien d’un forfait pour les « frais de dossier  » àchaque licenciement ou àchaque embauche d’emplois précaires (les sommes étant reversées ensuite àl’indemnisation du chômage). Ce malus s’appliquerait aux entreprises qui utilisent plus massivement qu’en moyenne (nationale et/ou de leur branche d’activité) les emplois précaires (ou les licenciements). Le financement de la protection sociale ne doit certainement relever uniquement des entreprises « rétrogrades  ». Il ne s’agit pas de distribuer des « bonus  » sous forme d’exonération de cotisations sociales. Il est simplement question de contraindre - y compris financièrement - les entreprises àrespecter un certain nombre de critères en matière d’emploi. Aujourd’hui elles n’ont plus aucune contrainte, elles sont même encouragées financièrement àaccroître le volume des embauches précaires.
Le troisième volet du débat concerne l’assiette du financement. Ce débat traverse les rangs des opposants au social-libéralisme. Les partisans de la cotisation assise sur les salaires (notamment B. Friot) pointent les dérives de la fiscalisation des allocations d’une part, et des assurances privées d’autre part. Toutes deux aboutiraient, disent-ils, àune société duale avec d’un côté des pauvres, assistés, et de l’autre des rentiers. D’un côté, des prestations fiscales réservées au pauvres, réduites au minimum et financées par l’impôt (payées par les plus « riches  » qui n’auraient de cesse d’exiger la baisse de la « pression fiscale  », en clamant leur ras-le-bol de « payer pour les pauvres  »), et de l’autre des prestations privées soumises àla logique financière (des sortes de fonds de pension) pour « protéger  » les plus riches. Le financement par cotisation permet au contraire, indiquent-ils, àla fois, d’affirmer la nature salariale des allocations versées aux sans-emploi, d’accroître la responsabilité sociale des entreprises, et de donner àvoir que la richesse produite l’est par le travail. Les cotisations font de la sorte partie de la masse salariale et financent des prestations qui sont assimilables, pour cette raison, àdu salaire indirect (et socialisé). Pour mieux en dénoncer le « poids  », le patronat n’a d’ailleurs eu de cesse de qualifier les « cotisations sociales  » de « charges sociales  ». Il faudrait, au contraire, réhabiliter les cotisations sociales : prélevées chaque mois, elles sont, en effet, immédiatement reversées (sans capitalisation donc) sous la forme de prestations sociales (et celles-ci représentent plus d’un tiers du revenu disponible des ménages). A l’inverse diminuer les cotisations sociales, reviendrait àréduire en chaîne les prestations sociales, la consommation des ménages (plus des deux tiers des débouchés des entreprises), la production et donc l’emploi, a fortiori dans un contexte où le taux de profit des entreprises est très élevé (c’est le cas depuis plus de 15 ans).
Sans nécessairement s’opposer àces arguments, d’autres se prononcent surtout pour un élargissement de l’assiette des cotisations, en les calculant non plus sur les salaires seuls, mais sur une base élargie (la valeur ajoutée par exemple). Les arguments avancés sont les suivants. Un tel dispositif permettrait de surmonter le paradoxe qui veut qu’une entreprise qui licencie contribue moins au financement de la protection sociale (elle paye moins de cotisations). Et un tel dispositif permettrait de ne pas « pénaliser  » les entreprises les plus intensives en main-d’Å“uvre (souvent des PME). Tout en « taxant  » le capital et les profits, et pas uniquement les salaires.
Le 17 décembre 2002, lors des dernières négociations UNÉDIC, la CGT proposait ainsi que « de nouveaux critères soient introduits dans les taux de cotisations, selon les performances des entreprises en matière d’emploi  ». Pour accroître le financement du régime UNÉDIC, et redistribuer l’assiette des cotisations patronales, J. Lazarre poursuivait : « Il convient d’élargir l’assiette àla valeur ajoutée, qui est plus large que la masse salariale. On peut l’élargir aux revenus financiers qui ne sont pas dans la valeur ajoutée. On peut intégrer dans l’assiette des éléments qui échappent actuellement àla cotisation comme les stocks-options  ».

V) Des débats àmener

Ne nous voilons pas la face. La revendication d’une indemnisation élevée heurte certains salariés, ou même certains chômeurs.

Quelle place pour le travail ?

« Pourquoi on le paierait, alors qu’il ne travaille pas ?  ». « Pourquoi gagnerait-il autant que moi, alors que j’en bave tous les jours ?  ». « Il y en a qui pourraient travailler, mais qui ne le veulent pas, pourquoi on les paierait ?  », « si on veut travailler, on peut  ». Dans les quartiers, les entreprises, s’expriment quotidiennement ces stigmatisatisations des chômeurs, qui disent les divisions, les concurrences, les luttes contre les plus proches, qui traversent les classes populaires. Pour certains salariés, confrontés àune détérioration de leurs conditions d’existence, mettre les chômeurs àl’index, c’est aussi une façon de marquer la distance qu’ils voudraient ne pas voir abolie avec ceux qui ont encore un peu moins qu’eux. Une manière de restaurer une identité, de conjurer le déclassement.
Le rapport au travail est souvent double, paradoxal, et balance entre dénonciations (justifiées) et fierté (notamment de montrer de « quoi on est capable  »). Les conditions de travail se détériorent, l’intensité du travail s’accroît, l’appel patronal à« l’autonomie  » des salariés se double de contrôles individualisés et renforcés, le travail parcellisé est loin d’avoir disparu, l’utilité sociale du travail accompli ne va pas de soi. A juste titre, de plus en plus de salariés s’en plaignent, et détestent l’emploi dégradé « qu’il faut bien se taper  », et « l’exploitation  ». Mais en même temps, aller au travail, c’est parfois retrouver des groupes de « potes  ». C’est montrer àses proches sa valeur, reconnue notamment par la fiche de paie. Pour les hommes, sur un mode semi-macho, travailler autorise souvent la reproduction des images traditionnelles de la « virilité  ». Pour les femmes, le salaire concrétise l’indépendance. Comment comprendre autrement que les femmes refusent majoritairement d’abandonner leur emploi, alors qu’il est de plus en plus précaire, répétitif, non qualifié, mal payé ? On gagne souvent moins que le RMI quand on est caissière àtemps partiel dans un supermarché. Quelle est la part de l’aliénation, et celle de l’émancipation ? La dignité reconnue au fait « d’avoir du travail  » s’évalue àl’aune de l’indignité attachée au fait de n’en pas avoir. La perte d’emploi pour les salariés âgés constitue très souvent un drame. Ils se retrouvent, dans certains cas, en face du mépris affiché par les jeunes. En face, quelquefois, de l’éloignement de leurs filles qui réussissent leur scolarité. Perdre son travail, ce n’est pas seulement perdre son salaire, cela signifie des relations sociales plus rares, perdre les routines et les raisons d’être associées au travail, perdre la reconnaissance locale liée au collectif de travail, perdre les savoirs et les savoir-faire accumulés, et si peu valorisés àl’extérieur.
C’est l’un des « paradoxes  » de l’emploi : certains se tuent au travail, et d’autres souffrent de n’en pas avoir. Il faut donc àla fois, s’attacher àchanger les conditions de travail et s’attacher àmodifier les rapports au travail. Et mener en tout cas une réflexion collective et statistique sur la place du travail, ne pas laisser aux directions générales, et aux directions des « ressources humaines  », le soin d’en décider pour tous.

Les stigmatisations libérales des chômeurs

La désignation puis la reconnaissance des « chômeurs  » comme catégorie est invention récente. Ce n’est qu’àla fin du XIXème siècle que le chômage, comme état de ceux qui n’ont pas d’emploi en raison de l’insuffisance du volume d’emploi, devient classification reconnue (en France, avec l’expansion des secours syndicaux aux sans-travail, qui se développent àpartir des années 1880). Seules trois catégories étaient jusqu’alors reconnues : les travailleurs (qui pouvaient àl’occasion « chômer  »), les invalides (qui devaient exhiber les stigmates de leur « handicap  » pour prétendre àla charité publique ou privée) et les « vagabonds  » (rejetés car soupçonnés de prétendre indà»ment aux « aides  »). Il faudra attendre le début du XXème siècle, pour, qu’en France, L’Etat finalement consacre l’indemnisation du chômage : subventions publiques aux caisses syndicales de chômage de 1905 à1940, subventions d’Etat aux fonds de chômage municipaux qui distribuent des secours dans les régions les plus urbanisées après 1914, ébauche des fonds de chômage publics dans les années 1930. Mais, pour les libéraux, et le MÉDEF aujourd’hui, les chômeurs et l’indemnisation demeurent toujours suspects. Suspects d’indolence, ou de « profiter  », pour les chômeurs. Suspecte de contrarier le retour àl’emploi, pour l’indemnisation (voir les théorisations récentes sur les « trappes àinactivité  »). Alain Minc résume typiquement ce point de vue dominant, ce point de vue tout de soupçon, qui est le point de vue spontané des dominants : « Chacun sait qu’il existe des chômeurs par choix rationnel, c’est àdire des individus qui, compte tenu des systèmes d’aide et des effets de seuil au moment du retour sur le marché du travail, préfèrent s’inscrire àl’ANPE, quitte àexercer une activité partielle au noir » (« Le Monde  » du 28 décembre 1999). Laurent Cordonnier l’a fort bien rappelé : dans la théorie libérale, « poltrons, roublards, primesautiers, paresseux ou méchants, les salariés n’ont que ce qu’ils méritent  ». Et les pauvres aussi, pourraient-on ajouter, depuis que la « Loi de Sécurité Quotidienne  » de N. Sarkozy, projette, comme au XIXème siècle, de les criminaliser : l’Etat-Pénal comme remède àla paupérisation, vieille recette.
Il est plus inquiétant que les gouvernements de « gauche  » n’aient pas échappé àce moralisme accusateur : obligation de signer un contrat d’insertion pour les RMIstes, visites domiciliaires pour vérifier la véracité de leurs déclarations, loi sur le contrôle des chômeurs en décembre 1991, refus d’augmenter les minima sociaux, en 1997, pour, disait Lionel Jospin, ne pas « enfermer dans l’assistance  ».
« La mise en Å“uvre de véritables itinéraires de reclassement pour les salariés privés d’emploi présenterait l’avantage de les sortir de la situation d’assistance dans laquelle ils se trouvent progressivement conduits lorsque leur employabilité n’est pas suffisamment renforcée. L’indemnisation doit être étroitement associée au renforcement des compétences du demandeur d’emploi et ne pas demeurer une simple indemnisation de la non-activité. Il s’agit de substituer au « statut  » actuel de chômeur une stratégie de soutien d’accompagnement et d’aides au reclassement et àl’amélioration des compétences. Il faut assurer un véritable contrat qui suppose de part et d’autre de reconnaître et de respecter des droits et devoirs  ».
« Le débat sur le PARE a opposé deux conceptions du chômage : -ceux qui pensent que le chômage est un état àvocation permanente, au risque d’encourager les chômeurs ày rester -ceux qui veulent les en sortir le plus vite possible  ».
Les principaux dirigeants des « gauches  » syndicales et gouvernementales affirment que le travail est constitutif de l’identité personnelle, et que sans emploi, on n’est rien. Cela devrait les rassurer, et les assurer que les chômeurs vont tout faire pour retrouver un poste. Et pourtant ils ont peur, peur que les chômeurs ne le fassent pas, qu’ils soient d’abord oisifs par goà»ts, qu’ils trouvent plaisir au « loisir  », que finalement cela soit contagieux. Les dirigeants des « gauches  » syndicales et gouvernementales se rallient donc àl’idée qu’il faut agir par coercition et didactisme : leurs directions ne savent-elles pas, mieux que les chômeurs eux-mêmes, ce qui est bon pour les chômeurs ? Au fond, ce qui différencie la gauche établie de la droite classique, c’est surtout le paternalisme...
Il y a toujours eu des débats dans le mouvement ouvrier : sur le travail, la réduction du temps de travail, sur le salariat, sur l’indemnisation du chômage en cas de démission par exemple, voire sur l’indemnisation des jeunes en quête d’un premier emploi, ou sur celle des saisonniers. Aujourd’hui, les démissions sont encore communément jugées illégitimes, et ce n’est qu’au bout de plusieurs mois « d’expiation  » que le démissionnaire peut retrouver ses droits aux allocations, si la commission paritaire de l’ASSÉDIC donne son accord, et s’il a fait preuve « d’activité  » dans sa recherche d’emploi. Faut-il alors indemniser en cas de démission ? Il nous semble que oui, pour permettre aux salariés de choisir leur mobilité professionnelle et géographique.
Car bon nombre de démissions sont en pratique des licenciements déguisés, suite àun accord entre l’employeur et le salarié et une transaction financière qui n’apparaît pas - ou parce que l’employeur s’est évertué àrendre la vie tellement impossible au salarié qu’il n’a pu rester. Dans les deux cas, il n’y a aucune raison pour que le salarié soit pénalisé, interdit d’allocations pendant 4 mois, et suspendu àla décision d’une commission paritaire qui, après ce délai, jugera du caractère involontaire ou non de son chômage. Pour le moins, il faudrait revenir àla situation antérieure, quand la commission décidait aussitôt.
Et l’indemnisation, dans les autres cas de démission ? L’indemnisation des journalistes, qui démissionnent en faisant jouer la « clause de conscience  », est déjàen vigueur. Pourquoi ne pas étendre cette clause àtoutes les situations où le salarié est en désaccord avec la stratégie de son entreprise, àtoutes les situations où les conditions de travail et l’organisation du travail sont jugées inacceptables ? Les employeurs choisissent de garder ou non leurs salariés, pourquoi les salariés ne pourraient-ils pas choisir de rester ou non ?
Seules les directions peuvent brandir la menace du « si vous n’êtes pas content, la porte est grande ouverte !  ». Indemniser les démissions, permettrait de contrarier un peu la « subordination  » des salariés qui règle constamment leurs relations avec les employeurs !
C’est la « propriété sociale  » (avec notamment la protection sociale, le droit du travail...) qui a permis, àceux qui ne pouvaient vivre de leur « propriété privée  », d’être « propriétaires d’eux-mêmes  » (Castel et Haroche). Et ce sont les droits qui légitiment les devoirs. Il est donc assez obscène d’en rajouter toujours sur les « devoirs individuels des chômeurs  » tout en réduisant, àchaque négociation UNÉDIC, leurs droits déjàfaibles.

Le SMIC comme référence et le maintien du salaire

En 1974, les confédérations CGT et CFDT demandaient que les allocations chômage s’élèvent à90% du salaire antérieur, et qu’elles ne soient jamais inférieures au SMIC. Cette revendication est toujours d’actualité. Simplement parce qu’en dessous du SMIC, on ne peut pas vivre. Nous savons bien qu’une telle revendication paraît « excessive  » àcertains salariés (en particulier àcelles et ceux qui sont àtemps partiel contraint).
La première formule du Programme commun de gouvernement prévoyait, en plus des mesures préventives àl’égard du chômage (pas de licenciement sans reclassement préalable, veto suspensif du comité d’entreprise sur les décisions de licenciement, prise en charge des entreprises de travail temporaire par l’ANPE), plusieurs réformes de l’indemnisation du chômage dont la plus importante était : les indemnités ne pourront être inférieures au Smic. On laisse chacun juge de la reconfiguration des discours que plus de vingt années de modernisation conservatrice ont suffi àengendrer. Et l’on aperçoit, ici comme ailleurs, àquel point l’intériorisation du sens commun libéral borne désormais l’espace du pensable.
Nous devons travailler àpersuader, au lieu de nous replier, d’emblée, vers un « réalisme  » qui ignore tout des réalités - de la réalité des existences au Smic notamment.
Au début du XXème siècle, le refus d’un emploi proposé par un bureau public de placement, entrainait immédiatement l’arrêt de l’indemnisation. Mais les secours syndicaux continuaient, eux, àverser des indemnités, celles-ci, comme le rappelle C. Topalov, s’accompagnant « de l’interdiction d’accepter un emploi offert àun salaire inférieur aux normes du syndicat ou par un employeur mis àl’index  ». « Le secours de chômage était donc conçu pour permettre éventuellement de refuser un emploi disponible (...) et n’était pas simplement une mesure pour tempérer la misère, mais un instrument de combat  ». Fernand Pelloutier, l’un des initiateurs de la Fédération des Bourses du travail, formulait ainsi en 1902, le sens de l’institution : « Le secours de chômage est considéré comme le paiement d’une dette de solidarité contractée par les syndiqués les uns envers les autres, et surtout comme le moyen de soustraire le chômeur aux offres de travail dépréciées  ». On mesure l’inversion àl’oeuvre depuis les années 1980 : hier offensive pour contrarier la dégradation de l’emploi, l’indemnisation du chômage devient de nos jours une arme pour accélérer la précarisation du travail. Il faudrait renouer, au plus vite, avec sa fonction des origines : la fixer minimalement au Smic l’autoriserait, et la situerait clairement dans la continuité du salaire.
L’évaluation chiffrée des « besoins  » élémentaires, opérée par les associations de chômeurs, établit que le Smic constitue en effet un minimum. Qu’on en juge, avec le décompte des frais minimum mensuellement nécessaires en région parisienne, réalisé par l’Apeis (voir « Existence !  » n° 13, 2001) :

  • Nourriture (10,67 euros par jour) soit 320,14 euros par mois.
  • Vêtements, chaussures : 45 euros.
  • Loyer mensuel + charges (base F1 à304,90 euros par mois - 152, 45 euros d’APL) : 152 euros.
  • Equipements divers (produits d’entretien courants, équipements ménagers) : 22,87 euros.
  • Energie (eau, gaz, électricité) : 30,49 euros.
  • Transports (carte orange cinq zones) : 87,96 euros.
  • Téléphone : 39,64 euros.
  • Recherche d’emploi (envois postaux, journaux d’annonces, frais de rendez-vous) : 76,22 euros.
  • Santé (mutuelle 41,16 euros + 15,24 euros de frais non-remboursables) : 56,41 euros.
  • Hygiène corporelle (coiffeur moyenne homme/femme) : 40,40 euros.
  • Assurance locative obligatoire (F1 91,47 euros par an) : 7,62 euros.
  • Culture (livres, revues, cinés...) : 60,98 euros.
  • Vacances (1219,19 euros épargnés sur 11 mois) : 110,98 euros.
  • Loisirs (pot entre amis, cadeau d’anniversaire...) : 60,98 euros.
  • Divers (cigarettes, petits imprévus de la vie) : 76,22 euros.
  • Impôts (contributions fiscales + taxes diverses) : 121,96 euros.
  • Contribution àla « vie démocratique  » (journaux, cotisations..) : 22,87 euros.

La CGT-Chômeur a calculé des budgets qui arrivent aux mêmes conclusions. En 2001, vivre « au plus juste  » en région parisienne nécessitait un revenu mensuel de 1 334 euros, par personne. On est extrêmement loin du Smic, et plus encore du montant moyen des allocations-chômage. Sans parler du RMI. En décembre 2002, plus d’un chômeur sur deux percevait moins de 750 euros par mois.
Que chacun calcule et recalcule. Certains postes pourraient, peut-être, être rognés. Mais assez peu. Et, répétons-le, nous sommes ici très loin du Smic ! _ L’urgence impose donc de relever très vite, et fortement, les minima sociaux et les allocations chômage.

Mais on pourrait, par contre, plafonner le versement des allocations chômage pour les très hauts salaires. La définition collective d’un revenu minimum, devrait s’accompagner de la fixation d’un revenu maximal socialement autorisé, le surcroît étant intégralement reversé aux caisses de l’Etat. Il faut en tout cas partir des besoins.

VI) Redonner des moyens au service public de l’emploi

Mettre l’Agence au « service des entreprises  » est en effet devenu, dès le début des années 1990, l’impératif assigné àune ANPE de plus en plus déconcentrée (en matière de décisions et de gestion) et de plus en plus dépendante des bassins d’emploi locaux. En même temps que son nouveau principe de justification. Le second contrat de progrès (1994-1998) négocié entre Michel Giraud, ministre du travail, Nicolas Sarkozy, ministre du budget, et Michel Bon, directeur général de l’ANPE, sorte d’énarque-manager, pose l’Agence en « partenaire des entreprises  ». Ce qui implique que « l’Agence s’engage àréaliser une rénovation profonde de son mode d’action et de ses moyens d’intervention en direction des entreprises  », par « une modernisation de la gestion de ses ressources humaines  » liée « une démarche qualité touchant l’ensemble des services rendus aux entreprises  ». Au terme de la réforme Bon, les entreprises et les demandeurs d’emploi sont des « clients  » de l’Agence. Les chômeurs ont à« actualiser leur portefeuille de compétences !  ». En aoà»t 1993, tout juste nommé par le conseil des ministres, Michel Bon, ex-PDG de Carrefour, ne dissimulait d’ailleurs pas son programme, lorsqu’on lui demandait quelle stratégie il définirait pour l’ANPE : « ce sont les employeurs qui me le diront : ils sont nos clients et c’est le client qui définit ce dont il a besoin, pas le vendeur. A priori la mission première de l’Agence est de leur fournir des candidats en temps utile et avec les spécificités requises  ». L’objectif des réformes impulsées par Michel Bon, pour « moderniser l’Agence  » était de transformer l’ANPE en entreprise, « une entreprise de production de services  », visant une position de « leader sur le marché du recrutement  ».
A présent, cette modernisation libérale de l’ANPE passe àun étage supérieur. Le Rapport Marimbert, rédigé début 2004, propose d’accroître le désengagement financier de l’Etat. Ainsi de façon structurelle, l’ANPE se retrouverait en situation de dépendance financière par rapport àl’UNÉDIC. Et chaque renouvellement de la convention UNÉDIC ferait peser sur l’Agence, le risque d’une diminution drastique de ses moyens - alors même qu’elle est déjàen pénurie de personnels. Cette affaiblissement de l’engagement de l’Etat obligera plus encore qu’aujourd’hui l’ANPE àrechercher des financements auprès des collectivités territoriales. Les Directions Départementales de l’Agence devront toujours davantage se transformer en agents commerciaux vendant la qualité des prestations de l’ANPE pour « emporter le marché  » et recueillir les fonds des Conseils Généraux. Mais comment ne pas voir que les Conseils Généraux pourront très bien créer leurs propres services, ce qui leur assureraient un contrôle politique et financier plus étroit. Autant dire que le Service Public National de l’Emploi, dans ce cas, n’existerait plus vraiment. La territorialisation des politiques de l’emploi, déjààl’Å“uvre avec les fast-formations du PARE et la décentralisation totale de la formation professionnelle continue, trouverait làson expression la plus achevée. Jean Marimbert approuve par ailleurs « la fin du monopole  » de l’ANPE, autrement dit la fin du dépôt obligatoire des offres àl’Agence, sa mise en concurrence avec des officines privées sur le terrain du placement. Au marché du travail de plus en plus libéralisé, avec un droit du travail réduit comme peau de chagrin, auquel s’ajoute une UNÉDIC mise au service du workfare, s’ajouterait donc la fin de la prise en charge publique des demandeurs d’emploi. La boucle sera ainsi bouclée : des salariés mal payés et licenciables « Ã merci  » sur le marché du travail, des syndicats avec moins de droits (suite àla loi Fillon sur la réforme du dialogue social), des chômeurs de plus en plus contraints d’accepter n’importe quelle offre d’emploi, et une ANPE qui ne contrôlera et n’orientera plus grand chose. On voit comment chacune des réformes, se conjuguant àtoutes les autres, dessine en réalité un ordre social neuf, où le travail redevenu pure marchandise, ravale les salariés et les chômeurs àn’être plus que des kleenexs, qu’on use et qu’on jette. C’est évidemment intolérable. Et c’est pourquoi, également, une refondation de l’indemnisation du chômage passe par un plan pour refonder le Service Public de l’Emploi. L’UNÉDIC doit revenir àses mission premières, sans possibilité de peser sur l’ANPE. Il faut pour l’Agence, un nouveau plan de développement pluri-annuel, avec des ressources financières et des postes supplémentaires, financés par l’Etat. Il faut aussi donner au corps de l’Inspection du travail les moyens en personnel de pouvoir accomplir sa mission. Et réfléchir bien évidemment àtous les moyens possibles pour éviter et interdire dans certains cas les licenciements. Tout ceci est possible, avec un peu de volonté politique, et en démocratisant les institutions qui gèrent le marché du travail. Car c’est bien cette volonté en politique qui depuis plus de vingt ans fait défaut, depuis que les gouvernements s’abandonnent aux dogmes du libéralisme, àses fatalités, àses injustices. Cela ne peut plus durer.

« Pour un Grenelle de l’UNÉDIC.
Refonder l’indemnisation du chômage  »
Edition Syllepse 2003
R. Crémieux, D. Gélot, C. Lanoizelez, D. Mezzi, M. Moreau, W. Pelletier, C. Villiers, M. Zediri.

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Propositions de la Fondation Copernic pour (...)
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