Quelques remarques et questions sur l’aspect « Emploi  » du projet de plan Borloo

contribution aux débats des assises du réseau d’AC ! - octobre 2004
lundi 18 octobre 2004
par  le réseau d’AC !


- 1. LES LOGIQUES DU PLAN BORLOO :

S’il était appliqué, ce plan achèverait sans doute d’institutionnaliser les logiques de l’emploi précaire voulues par le MÉDEF, et l’instrumentalisation par ces logiques des services publics et dispositifs et institutions « d’emploi  », « formation  » et « insertion  » qui s’y rattachent.

  • Il propose en effet de nouveaux outils au service de ces logiques, en particulier les « contrats d’activité  », et les « maisons de l’emploi  ».
  • Il se propose de coordonner, regrouper, homogénéiser les différents dispositifs et leurs outils de pilotage
  • Il incite àintégrer aux « logiques d’entreprise  » les différents acteurs (secteurs publics de l’emploi et de la formation, ASSÉDICS, collectivités locales et régions, ainsi que tout le secteur de « l’insertion  », sans oublier l’éducation) en charge de l’emploi et de la formation.
  • Il entérine une nouvelle dégradation des droits des précaires (renforcement de la surveillance des chômeurs, et des sanctions qui les visent).
  • Il n’oublie pas d’articuler ces propositions avec la « nécessaire  » simplification du Code du Travail et des règles administratives, la remise en cause de la protection de la santé des salariés au travail et « l’assouplissement  » de la législation sur les CDD et l’intérim.

- 2. Deux outils nous paraissent révélateurs de ces orientations :

  • 2.1. MAISONS DE L’EMPLOI : « Tous au service des entrepreneurs  »

Sous le cache-sexe du « guichet unique  » destiné àfavoriser les démarches du demandeur d’emploi doivent être instaurées 300 structures (une pour 3 ANPE, donc en gros une par bassin d’emploi) destinées àestimer les besoins locaux en matière d’emploi et de formation, et ày apporter les réponses adéquates.

Dans le cadre de ces structures dotées d’un statut administratif (GIP = Groupement d’Intérêt Public) et sous l’autorité d’un « manager expérimenté  », travailleront 50 personnes : la moitié détachée par « redéploiement  » des structures déjàactives sur le terrain : ANPE, missions locales, PLIE, collectivités locales, ASSÉDIC (?), Education (?)... ; l’autre moitié par recrutement, sur contrat de droit privé, « d’agents venant du monde de l’entreprise  ».

L’activité de ces GIP sera encadrée par le Conseil Supérieur de l’emploi développant une politique de contractualisation :

  • au niveau national par la signature d’une convention tripartite pluriannuelle entre l’Etat, l’ANPE et l’UNÉDIC déclinant les objectifs fixés par le Conseil Supérieur de l’Emploi : modalités de création du dossier unique du demandeur d’emploicalendrier de mise en place des Maisons de l’Emploi et de rénovation des ALE ANPE, critères permettant de mesurer l’efficacité et le fonctionnement des actions menées au titre du Service Public de l’Emploi...
  • au niveau local par la signature de conventions fixant en particulier les objectifs àatteindre pour la création des Maisons de l’Emploi, la rénovation des ALE ANPE...

Il est ànoter que la création de telles structures s’accompagnera de la disparition du monopole juridique du placement, théoriquement attribué àl’ANPE en tant qu’outil du « Service Public  » de l’Emploi, et pratiquement sérieusement mis àmal depuis pas mal d’années, tant en ce qui concerne le monopole juridique (intérim, plate-formes d  »insertion  »...) qu’en ce qui concerne le caractère « Service Public  » de ses activités, dont l’orientation et le contenu sont désormais - particulièrement depuis l’instauration du PARE-PAP - ouvertement au service des objectifs et des pratiques des entrepreneurs, soit directement pour ce qui concerne la définition et les profils d’emploi proposés, soit par l’intermédiaire des ASSÉDIC (et du MÉDEF) pour ce qui concerne les formations.

  • 2.2. LES CONTRATS D’ACTIVITÉ : extension des RMA, et renforcement des attaques contre les emplois statutaires et de l’asservissement des Collectivités Locales et des institutions « d’insertion  » :

Rebaptisés « contrats d’avenir  » après les remarques du Conseil Economique et Social (le but du plan BORLOO ne doit pas être de faire exercer une activité aux chômeurs, mais de leur retrouver un emploi) ces « nouveaux  » contrats passés au rythme de 250 000 par an pendant 4 ans, s’adressent (ou plutôt, risquent d’être imposés) aux allocataires du RMI et de l’ASS [1] (et éventuellement de l’API [2]) depuis plus de 6 mois (actuellement, il y a 1 100 000 allocataires du RMI, et 365 000 de l’ASS).

Ils proposent un salaire de 75 % du SMIC pour 26 heures de travail effectif par semaine pour 35 heures de présence effective, le reste, modulable, devant être consacré àtitre bénévole àla formlation (laquelle ? comment ?). La durée du contrat est de 2 ans, et peut être prolongée d’un an. Ce contrat ouvre droit aux mêmes droits sociaux que le Contrat Emploi Consolidé (ainsi, désormais, que le RMA dont l’attribution sera par ailleurs proposée aux titulaires du RMI depuis 6 mois - et non un an- pour l’harmoniser avec le contrat d’activité). Qui paiera les cotisations sociales correspondant au montant des allocations RMI ou ASS ? Sans doute l’Etat (donc le contribuable).

Comme pour le RMA, l’allocation (RMI, ou ASS) est versée àl’employeur ; celui-ci perçoit en plus une aide forfaitaire de l’Etat égale, la première année, à75 % de la différence entre le « salaire  » qu’il paie et l’allocation (RMI ou ASS) qu’il récupère, à50 % la deuxième année (et éventuellement 25 % la troisième année).

L’employeur peut être une collectivité locale, une association d’insertion, une association ou un délégataire de service public.

La grande nouveauté est que la gestion de ces contrats est confiée aux Communes. Cette compétence peut être déléguée (Maisons de l’Emploi, associations, départements pour les petites communes). Un « accompagnement personnalisé  » est mis en place par les communes, le financement en étant assuré par le département (pour les crédits d’insertion), et/ou les régions (dont c’est désormais une compétence légale de droit commun).

La mise en place de ces « contrats d’activité  », le mode de gestion proposé, leur articulation avec la création des « Maisons de l’Emploi  » et le contexte général dans lequel ils s’inscrivent entérinent des politiques de gestion de l’emploi et de la formation et enracinent une gestion des relations sociales précarisées sur lesquelles il risque d’être très difficile de revenir :

    • l’intégration des Collectivités Locales, et en particulier des mairies, àla gestion directe des contrats d’activité, et àla caution de la mise en place et du fonctionnement des « Maisons de l’Emploi  » créée un système cohérent et « global  » qui risque :
    • de renforcer les dérives lourdes des gestions municipales actuelles, y compris « de gauche  » : utilisation d’associations « d’insertion  » subventionnées comme pourvoyeuses pour le remplacement des employés municipaux absents (économies de gestion et développement du clientélisme àl’égard des « remplaçants  »), chasse aux crédits de formation...Ainsi un aspect du dispositif en voie de création paraît particulièrement pernicieux : l’attribution d’une prime forfaitaire de 1 500 €uros aux communes etaux employeurs pour chaque sortie de contrat d’activité vers un emploi durable (kézako ?). L’établissement des cahiers des charges et conventions entre les communes et les institutions concernées risque d’être croquignolesque. La liberté de parole et d’action de ces structures - si tant est qu’elle soit affirmée et revendiquée - risque fort d’en pâtir.
    • L’un des buts recherchés est aussi de provoquer des situations de déséquilibre de statuts encore accrus àl’intérieur des associations, institutions « délégataires de Service Public  » potentiellement concernées par la mise en place de ces emplois au rabais (Collectivités Locales, Hôpitaux, Ecoles, La Poste, les Transports, les OPAC, la Sécu...
    • d’une façon générale, les relations d’inter-dépendance entre les « décideurs économiques locaux  » (au premier rang des quels le patronat), les élus, la hiérarchie des travailleurs sociaux et celle des « services publics  » risquent d’être considérablement renforcées au profit de l’affirmation des logiques libérales. D’autant qu’il est prévu d’aménager àl’intérieur de chacune des institutions concernées (ANPE, Maisons de l’Emploi...)des postes de responsabilité pour l’occupation desquels la lutte risque d’être rude. Par voie de conséquence, plus rude aussi risque d’être le maintien - et a fortiori l’extension- des poches et noyaux de résistance àl’intérieur de ces institutions.

3. LES AUTRES OUTILS DU PLAN BORLOO VONT DANS LE MÊME SENS :

Il faudrait analyser àla lumière de ce qui précède le sens et le contenu des différents « programmes  » du Plan BORLOO, tant en ce qui concerne le « pilier  » de l’emploi que celui du logement et celui de « l’égalité des chances  », sans oublier les préconisations qui l’accompagnent pour faire évoluer en même temps l’environnement social, et les règles qui le gouvernent.On y trouverait l’affirmation des mêmes logiques :

  • ce qui frappe ainsi dans les autres programmes concernant l’emploi, c’est le nombre et l’institutionnalisation des emplois précaires. Thomas COUTROT l’avait déjàpointé en analysant les emplois jeunes et la politique publique de l’Emploi du gouvernement JOSPIN : en encadrant l’emploi précaire (bien sà»r, officiellement, pour « aider  » les précaires, en particulier les « jeunes  »), on l’institutionnalise,et on détruit corrélativement les normes publiques d’emploi (CDI, SMIC, 35 heures). Cette politique, dont les contrats d’activité et les Maisons de l’Emploi constituent les clefs de voà»te, est encore accentuée par l’affirmation des autres programmes : accompagnement de 800 000 jeunes en difficulté vers l’emploi durable, 500 000 apprentis « Ã©tudiants des métiers  » (sic), création de 250 000 emplois dans les services. D’autant qu’àchaque fois la précaution est prise que l’intendance suive, et que l’encadrement fonctionne :
    • création de 7 500 postes sur contrat de droit privé dans les Maisons de l’Emploi ;
    • mobilisation des 8 000 « collaborateurs  » des missions locales et PAIO comme « référents  » des jeunes (tout jeune sans emploi ni qualification doit avoir un référent), et financement direct par le plan de 2 800 emplois de référents parmi les personnels déjàexistants
    • pilotage des partenariats locaux et des référents par 500 « coordonateurs  » (embauchés ? par qui ? sur quel statut ?) ;
    • le sort réservé au « service public de l’emploi  » est symptomatique. Il ne s’agit pas de le détruire (des fonds sont même dégagés pour la rénovation des Agences Locales, et un calendrier en sera établi), mais d’en encadrer le fonctionnement dans le sens voulu :
      • par son insertion et son encadrement dans le cadre des nouveaux outils créés (Maisons de l’Emploi) et l’injonction àappliquer les nouvelles mesures (contrats précaires, surveillance rendorcée des chômeurs et précaires) ;
      • par la pression de la mise en concurrence avec des plate-formes concurrentes de placement que ne manqueront pas de proposer certaines Collectivités Locales avec l’appui du patronat local.

D’une façon générale, on peut dire qu’est en train de finir de se mettre en place un système de gestion libérale de l’Emploi, de la Formation (Education comprise), mais aussi des relations sociales (aides sociale, insertion, logement...) et politiques dans la société, dont l’une des caractéristiques est que les libéraux se donnent les moyens non seulement d’organiser, de gérer et contrôler àleur guise, en les précarisant, les activités économiques et le marché de l’emploi, mais aussi d’organiser, gérer et contrôler les situations sociales de précarité qu’ils ont générées. La précarité de l’emploi, et plus généralement des conditions de vie, se développe en même temps que se mettent en place, suivant les mêmes logiques, la prévision,la gestion et l’encadrement (pas seulement « social  », mais aussi juridique et policier) des situations précaires engendrées par ces logiques, sans bien sà»r en remettre en cause les fondements.

La mise en concurrence généralisée dans l’activité économique, éducative, sociale, accompagne la destruction des repères et des pratiques de solidarité, et des outils qui les incarnaient (protection sociale, services publics...).

- 4. COMMENT S’Y OPPOSER :

S’il est vrai que l’une des caractéristiques du plan BORLOO est de mieux coordonner, du point de vue des libéraux (patrons, financiers,politiques et idéologues) l’emprise qu’ils tentent d’assurer sur nos sociétés, il est clair qu’il n’existe pas de « trucs  », de « mots d’ordre  », de « revendications-miracles  » ,de « modèles  » qui vont permettre de mettre en ordre de bataille cohérente les résistances (elles existent et sont nombreuses) àce mode d’organisation de la société.

D’autant moins que l’une des caractéristiques de ce système, qui se renforce, est de ne laisser aucun espace d’activité sociale en dehors de ses contraintes d’organisation. Ainsi les « exclus  » du marché du travail ne servent-ils pas seulement àfaire pression sur les « inclus  » (salaires, conditions de travail, capacités collectives de résistance). Ils sont eux-mêmes de plus en plus encadrés dans un réseau de contraintes et d’activités sociales forcées (des « prestations  » de l’ANPE aux stages-parkings) sans contre-partie de rémunération. Par contre cette activité « d’insertion par l’économique  » fournit matière àun véritable « business  » idéologiquement très encadré et rentabilisé lui aussi sous forme de marché,mode d’organisation que dénoncent désormais une minorité de « travailleurs sociaux critiques  », tout en éprouvant de très grandes difficultés às’y opposer dans la pratique - et ils ne sont pas les seuls.

Le Plan BORLOO va permettre d’en remettre une louche. Citons quelques exemples :

  • que vont faire les conseillers ANPE qui risquent de se voir contraints d’imposer aux demandeurs d’emploi des emplois précaires qui entraîneront pertes de qualification et de salaire, sous menace de radiations (la plupart parviennent encore às’y opposer), ou des formations plus ou moins bidons et de toute façon non choisies ? Comment, sur quelles bases, construire avec eux des outils pratiques de résistance ?
  • comment faire pour étendre considérablement, et coordonner, les résistances àl’implantation des emplois précaires (ou àla précarisation des emplois) ? Jusqu’ici se sont essentiellement développés trois types de résistances :
    • la bagarre des intermittents ;
    • les résistances collectives longues dans les secteurs où l’emploi précaire est majoritairement : généralisé : McDO, Pizza-Hut, Arcade...
    • les résistances beaucoup plus ponctuelles avec le soutien des salariés en poste (transformation des postes d’intérims...).

Mais la guerre àl’extension de la précarité de l’emploi n’a jamais constitué, loin de là, un objectif de lutte essentiel, que çàsoit dans le Public ou dans le secteur marchand, pour la majorité des salariés et les organisations qui les représentent (cf par exemple l’absence de mobilisation sur cette question lors des négociations sur les « 35 heures  », qui posait de fait l’opportunité d’une bagarre pour réintégrer les précaires et hors-statuts). Pourtant il est hors de doute que la lutte contre la précarité de l’emploi et tout ce qu’elle recouvre ne peut se concevoir et se gagner sans refonder dans la pratique des solidarités d’engagement et de lutte , et d’abord au niveau de l’ensemble des collectifs de travail concernés.

  • que vont faire les élus « de gauche  » en charge de la mise en application dans une Municipalité des futurs « contrats d’avenir  » ? Ou plus exactement, qu’avons-nous àopposer, nous et aussi ceux qui les dénoncent, àla mise en place de ces emplois que, gageons-le, élus et personnels des institutions concernées (ou au moins la majorité d’entre eux)agissant dans le cadre des futures « Maisons de l’Emploi  » trouveront de nombreuses « bonnes raisons  »de mettre en place ?
  • de même qu’avons-nous àopposer et proposer dans la pratique, nous et aussi ceux qui les dénoncent, face aux dispositifs « d’insertion par l’économique  » et de formations liées àl’emploi de plus en plus inféodé aux besoins et àla logique du MÉDEF ? Quelles exigences formuler aux élus municipaux et départementaux (responsables des PLIE et bientôt embringués dans les Maisons de l’Emploi), et aux élus régionaux (majoritairement « de gauche  »), théoriquement en charge du pouvoir d’attribution et de contrôle de crédits de formation (et pourquoi pas,, de ceux qui les utilisent, et de l’usage qui en est fait : les ASSÉDIC par exemple) ?

On pourrait poser les mêmes questions dans le champ de l’aide sociale, du logement, de l’éducation, de l’ensemble des « services publics  »... que le plan BORLOO va continuer àattaquer et contribuer àre-formater suivant des logiques identiques.

Chômeurs et précaires se retrouvent au cœur de ces transformations. Ils en sont les premières et principales victimes, certes suivant un éventail de situations très disparates. Ils peuvent - ils doivent - être les principaux artisans du développement et de la coordination des luttes qui en découlent.

rédigé par Michel d’AC ! Rhône.


[1Allocation Spécifique de Solidarité.

[2Allocation Parent Isolé.