Converger vers une semaine de quatre jours

samedi 14 août 2021

Publié le 12 août 2021
Hervé Roquet

La réduction du temps de travail est non seulement une des plus anciennes revendications de la gauche, c’est aussi la revendication présentant actuellement le plus grand potentiel pour faire converger les différentes luttes sociales présentes. Il est plus que temps de redécouvrir sa pertinence à l’heure où les mouvements féministes, écologistes et syndicaux semblent amorcer un début de rapprochement.

Le patronat a imposé sa maîtrise du temps de travail dès le début de l’industrialisation. Journée de 15h, minutage des tâches, rythme de travail donné par les machines et non par les corps. Très rapidement ce contrôle du temps par le patronat a été contesté par différents mouvements de gauche. Nous leur devons, la journée de travail de 10 heures, suivie de celle de 8 heures, le dimanche férié, la semaine de cinq jours, les congés payés, le régime de retraite et l’interdiction du travail des enfants. Ce qui maintenant paraît normal est le fruit de multiples luttes sociales du XIXe et du XXe siècle. Ces luttes furent un tel succès que même la droite ne lutte plus ouvertement pour réintroduire le travail des enfants ou la journée de 15 heures. La gauche a obtenu des avancées majeures par la lutte pour la réduction du temps de travail, mais ces dernières 40 années en Suisse, force est de constater qu’elle a laissé cette lutte en sommeil. Il est peut-être temps de la réveiller et de reprendre le flambeau des luttes passées, et ce pour plusieurs bonnes raisons.

Reprendre le flambeau

Pour des raisons économiques et historiques d’abord : la productivité du travail n’a cessé d’augmenter et les salaires ne l’ont pas suivi. L’OFS rapporte une augmentation de 28% entre 1995 et 2017 pour le facteur de production « travail » alors que les salaires réels n’ont augmenté que de 14 % sur la même période. La différence est partie en profit pour les détenteurs de capital. Dans ce contexte, réduire le temps de travail, à salaire constant, peut donc se comprendre comme une manière de payer en heures de temps libre, ce qui devrait revenir de droit aux travailleurs et travailleuses dont la productivité a augmenté.

Pour des raisons d’ordre technologique ensuite, l’automation et le développement de machines de plus en plus sophistiquées permettent de réduire la quantité de travail nécessaire à la production d’un plus grand nombre de biens et services. Le travail devenant ainsi superflu dans certains secteurs de la production, il est impératif pour la gauche de faire profiter toutes et tous de ces développements et pas seulement les propriétaires des machines, des robots et des technologies de production.

Rééquilibrage

Pour des raisons féministes ensuite : l’égalité ne pourra être atteinte tant que les hommes auront plus de travail à temps plein rémunéré (et moins de temps de travail non rémunéré) que les femmes. Une diminution du temps de travail permettrait un rééquilibrage d’autant plus urgent que les hommes en Suisse obtiennent encore deux tiers de la masse salariale totale contre un tiers pour des femmes. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le mouvement de la grève des femmes est celui qui s’est le plus clairement emparé de la revendication de la baisse du temps de travail pour la replacer dans le débat politique suisse.

Les raisons écologistes pour réduire la durée du travail sont également très claires : travailler moins, c’est produire moins et donc automatiquement aussi polluer moins, consommer moins, jeter moins. C’est un moyen de s’attaquer à l’aberration de la consommation superflue et du cercle vicieux qu’elle entraîne. C’est aussi avoir plus de temps pour réparer, cuisiner, se déplacer plus lentement (avec des trains et vélo par exemple) et donc simplement plus de temps pour un mode de vie moins hostile à l’environnement et plus favorable à la vie bonne, l’engagement social et la créativité.

Rassembler les forces

Le contexte actuel traversé par des mouvements sociaux nouveaux, des développements techniques et industriels majeurs ainsi que par l’urgence climatique sans précédent témoigne d’une conjonction inespérée de facteurs pour rassembler les forces de gauche sur une revendication simple, mais qui a fait ses preuves : travailler moins pour travailler toutes et tous et vivre mieux. La semaine de travail de quatre jours et des weekends de trois. Qui, en dehors du patronat, n’y gagnerait pas ?

Cet article a été publié dans Pages de gauche n° 174 (hiver 2019-2020).
https://pagesdegauche.ch/converger-vers-une-semaine-de-quatre-jours/



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