Pour qui, pour quoi travaillons-nous ?

samedi 22 octobre 2022
par  Alain Véronèse

Décroissance île de France. Mercredi 5 octobre 2022.
Présentation suivie d’une discussion

Pour qui, pour quoi travaillons-nous ?
Jacques Ellul
Editions de la Table Ronde. 2013.

Introduction
Je tiens à préciser le cadre de mon intervention. Je me limite à la présentation commenté d’un livre de Jacques Ellul : Pour qui, pourquoi travaillons-nous ? Paru aux éditions de la Table Ronde en 2013.
Je ne dirai rien, ou presque de J. Ellul comme critique de la technique. Quelques indications seulement. Pour en savoir davantage, je renvoie à la fiche Wikipédia.
Quelques mots pour situer l’auteur si nécessaire.
J. Ellul (1912-1994) a publié plus de 50 livres. La technique ou l’enjeu du siècle est selon Jean-Louis Porquet, l’un de ses biographes, son maître livre. Porquet a publié en 2003 une importante biographie politique d’Ellul :Jacques Ellul, l’homme qui avait presque tout prévu, éd. Le cherche midi. Le biographe est journaliste au Canard Enchaîné, une plume tendanciellement décroissante et libertaire, je le lis souvent avec plaisir dans le Canard.
Ellul est catalogué comme chrétien (protestant) et anarchiste. Mélange assez rare .
Il a donné des cours sur Marx et le (ou les) marxisme(s), réunis en un volume qui doit se trouver quelque part dans ma bibliothèque… Chrétien, anarchiste il trouvait néanmoins chez Marx des critiques du capitalisme et des arguments valides pour une nouvelle organisation sociale.
Marxien peut-être, mais fort loin de l’Union Soviétique.

Il fut tenté par une adhésion à l’Internationale Situationniste (IS), candidature refusée par Guy Debord : l’IS n’accepte pas les croyants.

Le livre. Courte présentation avant la discussion
Pour qui travaillons-nous… De fait, un s’agit d’une compilation d’articles dispersés dans différentes revues ou livres. La revue Foi et vie et le livre Nouvelle exégèse des Lieux communs notamment.
Une fort bonne introduction est signée de trois auteurs : Michel Hourcade, Jean-Pierre Jézéque
et Gérard Paul.
Pour ne pas conclure, je dirai peut-être quelques mots sur deux livres qui prolongent, actualisent les propos d’Ellul :
Automatisation et futur du travail de Aaron Benanav et Ralentir périr de Thimothée Parrique.

Dés les premières pages de l’introduction nous pouvons lire :
« … des sociétés anciennes ont pu vivre dans un rapport au travail très différent de celui sui est le notre. L’idéologie actuelle du travail est une création récente de l’économie bourgeoise et du mythe du progrès (p. 9, 10).
L’exaltation du travail… le mouvement ouvrier, en particulier par la voix des syndicalistes procédera à une véritable sacralisation du vocable travailleur. (p.10).
L’automatisation et l’informatisation sont les véritables sources d’un accroissement prodigieux de la production de biens. […] Les énormes gains de productivité, y compris dans l’agriculture et le tertiaire remettent en cause la centralité du travail et provoquent une diminution obligée du travail, mais plus encore une irrésistible montée du chômage. » (p.11).

[Quelques remarques à ce stade.
Le chômage est une réduction du temps de travail. Ce n’est pas la bonne réduction… Quelques années après Ellul, André Gorz, écrira des pages dont la tonalité critique fait écho aux analyses d’Ellul. Ayant conscience des dangereuses contradictions économiques qui fragilisent le système, le capitalisme met en branle des corrections économiques et idéologiques. Pour sauver la sacro-sainte valeur travail, les « boulots à la con » (Bullshit Jobs dans la langue de David Graeber), l’obsolescence planifiée et la guerre contre les chômeurs procèdent de la contre offensive libérale.]

Paraphrasant Ellul les trois auteurs d’écrire :
« Briser la routine intellectuelle sur ce sujet [le travail] devrait être uns priorité. » (p.13).
Puis question philosophique, s’il en est
« Quel usage du temps pourraient faire les travailleurs libérés d’une partie de leurs chaînes ? » (p.16). 

[Seconde et courte remarque sur un nouvel usage du temps (après l’usinage), André Gorz, déjà cité et Hannah Arendt ont donnés de précieuses indications. Personnellement je plaide pour l’Otium du Peuple et la Scholé Généralisée…]

« Attaquons » Ellul lui même.

Travailler moins pour vivre mieux
Citations :
« Très généralement, l’idéal de la vie humain était l’absence totale de travail […]. Non pas la paresse ou le repos, mais ,une certaine conception de la vie (p.39).)
L’otium des romains est activité dans la cité politique, philosophie, méditation. […] pour,une vie vouée à la relation sociale et à la politique et non pas absorbée par le travail » (p.39).

[L’otium romain avait été précédé par la scholé grecque, cf. plus haut, c’est de la scholé que vient le mot école, shool…]

« Avant la société industrielle aucune société,n’a été vouée au travail. |…] Et pourtant c’est la notre qui et vraiment productrice de pénurie. » (p .41).

L’idéologie du travailleur

« ….dans notre société, il nous faut prendre conscience que tout est dominé par l’idéologie du travail. C’est une nécessité pour l’accumulation capitaliste » (p.62).

[Troisième remarque. Actualisation de l’offensive libérale-capitaliste.
En 2022, la réforme répressive de l’allocation chômage et le recul programmé de l’âge de la retraite sont biens des choix idéologiques masqués derrière une soi-disant nécessité économique.]

Ellul de continuer.
« Le chômage qui affecte aussi ,les pays socialistes est provoqué, que cela plaise ou non, par l’extrême automatisation du travail et l’informatique » (p.121).
La réduction du temps de travail à la préférence de l’auteur. « Il ne s’agit pas de discuter des trente-cinq heures. Adret a raison quand il parle de 2 heures par jour » (p.178).
[Adret - versant ensoleillé de la montagne – est le nom d’un d’un collectif d’auteurs qui publié les Deux heures en 1977, éd. Du Seuil).
« Temps choisi, autogestion du temps [otium et scholé]. Une redéfinition du progrès qui ne se mesure plus maintenant en croissance de nombre d’unités de valeur produite mais en temps de travail humain économisé. » [je souligne]. (p.178).

[Ellul à sa façon un précurseur de la décroissance.
« Le choix de travailler moins pour vivre mieux implique une certaine réduction de notre niveau de consommation . (p.212).
[Il emprunte un mot d’ordre du parti communiste… italien (1975 ?) qui plaide (Bruno Tronti), pour une frugalité révolutionnaire . Donc, une décroissance du PIB.
Ce qui suppose d’abord une révolution culturelle, une décolonisation de l’imaginaire dans les termes de Serge Latouche. Ellul est favorable à un revenu garanti, aujourd’hui nommé revenu de base. Ainsi…
… « Par exemple tout citoyen américain de sa naissance à sa mort recevrait aux alentours de 5000 dollars par an [ chiffre de 1980] donc un homme marié avec 3 enfants aurait droit à 25000 dollars. (p.103). De continuer
« Le temps libre [libéré] serait largement occupé. Mais ce nouveau « travail » ne serait en rien comparable à l’ancien ». (p.112).

Il nous faudrait donc prendre le temps,le loisir, otium/scholé pour bâtir la Civilisation du temps libéré préconisée par André Gorz.

Alain Véronèse.
Octobre 2022.
*
Quelques lignes des deux livres cité au début de mon topo. Pour prolonger la réflexion.
Ralentir ou périr. Thimothée Parrique . Seuil, 2022.

« Avant de crier au sacrifice [la décroissance], réalisons que la plupart des activités les plus importantes pour notre bien être ont une très faible empreinte écologique, et ne sont pas considérées à proprement parler come du travail et des marchandises : passer du temps entre amis, se balader dans la narure environnante, faire de la musique, ou encore participer à des débats politiques.
[ Une définition de l’otium].
Produire moins ferait baisser le temps de travail et viendrait donc libérer du temps pour produire toutes ces choses que le PIB ne mesure pas. On pourrait travailler moins pou vivre mieux ». (p.216).
*
L’automatisation et le futur du travail. Aaron Benanav. Editions divergences, 2022.
« Comme la croissance économique ralentit, le rythme des création d’emplois suitn et c’est ce ralentissement, non les destructions d’emplois causées par les avancées technologiques qui fait baisser la demande de main-d’oeuvre au niveau mondial. » (p.9).
[L’auteur en appelle-t-il à la croissance ?! Une lecture attentive des pages suivantes peut, sur ce point rassurer les décroissants…].
Page 109 une plaidoirie kéneysienne pour la décroissance appuyée sur une réduction du temps de travail.
« Selon Keynes, le plus judicieux serait d’intervenir pour réduire l’offre de main-d’oeuvre, plutôt que pour stimuler la demande, en augmentant les loisirs plutôt que la production. […] Keynes préposait une réduction de la semaine de travail à 15 h. »
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Documents joints

Critique du travail, J.Ellul