Depuis toujours nous aimons les dimanches

jeudi 12 septembre 2024
par  Alain Véronèse

Depuis toujours nous aimons les dimanches

Lydie Salvayre

Editions du Seuil. 2024.

Ne travaillez jamais. Le bandeau qui couvre le bas du livre, une formule cryto situ (Guy Debord), est un peu excessive concernant l’ouvrage de Salvayre. Nonobstant, la transpiration rédemptrice n’est pas parmi les vertus énumérées. La paresse comme philosophie est préférée.

D’emblée, en page de garde, une citation donne le ton : « Le travail est un trésor. Le travail des autres, cela va de soi. » Henri Jeanson.

Avec une cruauté de bon aloi, un acharnement motivé, des formule coupantes et bien senties, l’autrice décapite, déconstruit pour notre plus grand plaisir… la valeur travail.

Cette chiasse idéologique dont nous empuantissent les libéraux ayant pognon sur rue.

Dans l’ouvrage les « apologistes-du-travail-des-autres » (p. 22, suivi de plusieurs reprises) sont dénigrés avec une joyeuse insistance.

Le turbin, le gagne pain, les emplois bien payés, les boulots à la con, idem, servitudes plus ou moins consenties que l’on essaie de chasser par « la savoureuse quiétude des dimanches quand nous aimons vaquer en chaussons éventrés et pyjama informe. » (p.12).

Modulant sur Lafargue (la dette est explicite), « depuis toujours nous aimons lanterner buller, extravaguer dans un parfait insouci du temps. [….] Car vous l’avez compris la paresse est un art. […] La paresse est ni plus ni moins qu’une philosophie » (p.14,15).

C’est dans le plumard que se dissimulent les formes nouvelles de la lutte des classes.

« Car les apologistes-du-travail-des-autres nous bassinent avec ce préjugé relativement récent dan l’histoire des hommes, selon lequel :

le travail serait un devoir moral,

le chômage une honte,

la goût pour la finance et la compétition : une inclination naturelle,

le désir d’amasser:inné chez les enfants.

Et conchient la paresse qu’ils considèrent comme : une putain pêcheuse d’hommes,

l’oreiller du diable,

une démone nourrissant tous les vices et particulièrement la luxure,

[…]

un cancer social qu’il s’agit d’extirper par une chirurgie ablative.

[…] (p.26,27).

L’on discerne les motivations réelles des « apologistes-du-travail-des-autres » : gros pognon et larges privilèges confortés par la récitation intéressée de la valeur travail.

La grâce matinée dans un plumard tiédi, moelleux, bienheureuse paresse qui « représente surtout une abominable menace pour les biens amassés par les apologiste-du-travail-des -autres. »(p.27) .

Enervée (nous comprenons et approuvons), Salvayre se lâche, anti-capitaliste à sa manière.

« Alors, ces dépouilleurs de pauvres, ces cleptocrates, ces spoliateurs qui ont pognon sur rue (Salvayre) et que dans notre jeunesse nous qualifions de porcs, de requins, d’enflures ou de raclures de bidet[…] s’emploient avec une détermination rare à nous convaincre des immensissimes bienfaits du travail… […] Logique : « leur Bentley Mulsanne, leur pardessus Gucci, leurs chevaux de course, leurs comptes en banque au Luxembourg,... » les contraignent à défendre la valeur travail. (p.28).

Après avoir trucidé la valeur travail, Salvayre critique la croissance économique.

C’est trop, n’est-elle une décroissante masquée ? Qu’on en juge.

« … cette surproduction de besoins factices qui peu à peu nous deviennent vitaux… Messieurs les profiteurs, éreinte notre terre dont la splendeur nous émerveille encore, l’assèche, la calcine, la salope […] tandis qu’augmentent dans le monde la détresse et la pauvreté, sur laquelle fermente une colère qui jamais ne s’épuise. » (p.41).

Elle ne manque pas davantage l’examen de l’écologie mentale des salopards.

« Mais, le temps, insistant ces misérables dans leur tenue de camouflage « amour du prochain » (leur pesante insistance ne faisant que confirmer qu’ils sont aux abois et le trouille au ventre, par conséquent plus dangereux que jamais). » (p.44).

L’actualité hexagonale semble confirmer les intuitions de l’autrice…

Salvayre à des lettres, avoue un un faible pour Baudelaire, c’est dire la solidité littéraire de la dame… Pour consolider son réquisitoire, de plus, elle puise dans l’antique.

« … cette, croyance aberrante en la religion du progrès-qui-doit-apporter-la-félicité-sur-terre[…] amène les progressistes à contester, l’antique sagesse qui considérait le labeur comme une occupation dégradante et indigne d’un homme libre ? Labeur dont les grecs, il faut préciser pour être juste, se déchargeaient sur leurs esclaves ? » (p.101).

Les grecs, antiques pas les endettés d’aujourd’hui, citoyens étaient fort bien occupés par la scholé,

les romains, peu après, valorisaient l’Otium.

Diogène et David-Henri Thoreau sont - et c’est sérieux ? - appelés à la rescousse pour conforter la thèse alanguie !

« Prenez Diogène : un tonneau pour maison, une besace pour frigo, et vive la liberté !

Prenez Henri David Thoreau : l’eau de l’étang en guise d’apéritif, la lumière du soleil pour tout éclairage, et les bruissements de la forêt comme musique de chambre ! » (p.113).

Nous la soupçonnons d’avoir éclaté son bilan carbone pour un pèlerinage à Walden…

Quelques auteurs plus récents sont mobilisés. Et non des moindres.

Bertrand Russel qui affirmait, preuves à l’appui que « grâce à la technologie moderne, la somme de travail requise pour procurer les choses indispensables à la vie pourrait très bien se limiter à quatre heures pas jour... »

Après le mathématicien philosophe, l’économiste des « trente glorieuses », J.-M. Keynes lui même.

« Dans sa Lettre à nos petits enfants vient confirmer, par des arguments encore plus scientifiques, cette enthousiasmante hypothèse. » (p.112).

Keynes préconisait pour les alentours des années 2020, la semaine de quinze heures.

Nobert Wiener et André Gorz auraient pu conforter la thèse. Superflus sans doute...

Présentement les trente deux heures sont revendiquées par les plus audacieux des syndicats….

Plus grave, la prise de conscience du monde qui pourrait être (B . Russel), ne progresse guère et, au contraire « On peut même dire qu’avec la surenchère récente de la valeur travail, une nouvelle sorte de pauvreté est apparue . » (p.118).

France travail ! Work-house et contrôle high-tech pour faire traverser la rue.

Pourtant potentiellement, la révolution numérique…

« Misant sur l’intelligence sociale comme génératrice de richesses, des des formes inédites de travail on commencées à être imaginées , de sorte que les immenses quantités de temps et d’efforts économisés grâce à la révolution numérique soient plus justement réparties, la cagnotte plus justement partagée, et le conditions d’exercices ajustées aux travailleurs et non l’inverse. »(p.121).

De grands changements sont encore à éclore « mais la plupart de ces travaux nous,ont appris aussi l’un des risques de ces changements était de rendre l’aliénation moins visible […] et de jeter dans une effroyable pauvreté tous ceux qui, restés en marge , n’avaient d’autre issue que de répondre aux fameux services à la personne », autrement dit à enfiler la livrée du valet et à, en accepter les gages. » (p.123).

C’est mal parti, le virage est-il encore envisageable ?

Pour patienter s’abreuver de bonne littérature, c’est avec Rabelais (Thélème) que Salvayre clôt ce bouquin que nous avons parcouru avec entrain.

« Ici, n’entrez pas, vous, usuriers avares

Gloutons, lécheurs, qui toujours amassez

Grippeminauds, souffleurs de brouillards,

Courbés, canards, qui dans vos coquemars

De mille marcs n’auriez pas assez.

Vous n’êtes pas écoeurés pour ensacher

Et entasser, flemmards à la maigre face ;

Que la male mort su-le-champ vous efface !

A la page 131 est écrit en capitales le mot FIN. Quelques pages de plus auraient été appréciées...

Alain Véronèse.

Jeudi 22 août 2024.