Robotariat - Critique de l’automatisation de la société

vendredi 8 janvier 2021
par  Alain Véronèse

Robotariat
Critique de l’automatisation de la société
Bruno Teboul
Editions Kawa. 2017.

« Un futur numérique désirable pour l’humanité est donc possible », c’est la dernière phrase du livre captivant de Bruno Teboul.
Numérique, robotique, intelligence artificielle,… des bienfaits pour l’humanité ? Bien des réticences, voire résistances de la part des déçus du « progrès » qui sont dubitatifs quant aux bienfaits de la technique. L’’optimisme, quasi messianique de l’auteur ne les séduira pas immédiatement.
Nonobstant, avant la dernière phrase, il y an plus de 200 pages solides et documentées. Allons lire vers le début.
Parcours balisé.

Sous conditions – nous les nommerons plus bas – la robotisation n’est pas une malédiction, bien au contraire elle pourrait permettre à l’humanité d’échapper au travail-tripalium.
Robotariat est une importante contribution à cet optimisme économique.
Dans son enthousiaste préface, Yann Moulier Boutang écrit : « Robotariat est une contribution forte à cet arpentage de la réalité qui émerge sous nos yeux pour autant qu’on ne s’obstine pas à porter les bésicles ou les monocles du XIXe siècle »

Le modèle du travail : otium ou trepalium ?
« Le concept même de travail est sujet de controverses, tant les points de vue s’opposent pour le définir. Il est tantôt considéré comme une source de transformation positive pour l’individu […] au sens de l’otium, mais aussi une forme de domination, de souffrance continue […] au sens de négotium comme le précise Hannah Arendt, voire de trepalium »(p .85).
Remarque : dans l’usage et acceptation hérités de l’antiquité romaine, l’otium était le privilège des citoyens, aristocrates qui ne travaillaient pas, le negotium étant le lot des esclaves et autres non citoyens… Chez les grecs, (les anciens, pas les endettés d’aujourd’hui) l’otium était scholé était le privilège réservé aux aristoï. Un otium pour tous, une scholè généralisée est peut-être l’utopie raisonnable de notre époque. C’est ce que l’on peut percevoir, subjectivement pressentir (entre les lignes ?) à la lecture de Robotariat.

L’auteur de continuer, « Avec l’accélération des technologies de l’information et de la communication le modèle du travail salarial est remis fondamentalement en question. C’est le travail lui même, qui en plus, d’être transformé se raréfie, robotique et intelligence artificielle font de nombreux salariés des surnuméraires. »
Un exemple parmi cent est donné p. 96. « En 2016, l’assureur japonais Fokoku Mutual a annoncé le remplacement d’un quart de ses salariés […] par un système d’intelligence artificielle [cette « embauche »] provoque immédiatement le licenciement de 34 personnes à fin 2017, à ajouter au non renouvellement des personnes jusque là en CDD. »

Bien au-delà de cette entreprise, de façon générale « la dématérialisation et la virtualisation accrues, la robotique pervasive, l’intelligence artificielle forte, les neurosciences […] Avec comme effets dévastateurs la suppression massive d’emplois des catégories intermédiaires, auxquels s’ajouteront une vague sans précédent de disparition des tâches peu qualifiées. » (p.101).Au final, le processus en cours fera émerger « une frange de la population qui servira à la supervision et aux contrôles des nouveaux processus de production automatisés ». Le robotariat remplacera le prolétariat aura pour conséquence la naissance d’un nouvel élitariat.
Le corollaire du robotariat est l’avènement d’une caste de techno-scientifiques qui formera ce que nous appelons le nouvel élitariat. Seule une élite peut envisager les formations académiques transdisciplinaires longues et difficiles. […] Cette nouvelle élite technoscientifique remplacera en effet les élites industrielles et financières » (p. 113).
En toute logique, pour minimiser les conséquences économiques et sociales de la disruption en cours deux propositions.

Réduction du temps de travail et revenu universel
Albert Einstein dans son célèbre ouvrage de 1933, Comment je vois le monde, préconisait de réduire considérablement le temps de travail du fait des progrès de la productivité, liés à l’organisation taylorienne du travail. » ( citation p.191).
Développons un peu le texte d’Einstein.

Réflexion sur la crise économique mondiale (1934).
« … le caractère de cette crise repose sur des circonstances toutes nouvelles, qui sont la conséquence des progrès rapides des méthodes de production forcée : pour produire la totalité des produits de consommation nécessaire à l’existence, ce n’est plus qu’un fraction de la main-d’œuvre qui est indispensable.
Pour moi, voici la vraie raison du chômage et de la misère : la cause principale de la misère actuelle, c’est le progrès technique, qui serait lui même appelé à supprimer une grande partie de travail des hommes. »
Notons, qu’en régime capitaliste la réduction du temps de travail a lieu tous les jours sous la forme nocive de la croissance du chômage.
Bruno Teboul, quant à lui écrit : « Si le sens de l’histoire est bien d’automatiser tous les processus industriels, serviciels, commerciaux, nous n’avons d’autres choix que de réduire le nombre d’heures travaillées pour permettre à des millions de femmes et d’hommes de participer à cette économie numérique et robotisée. […] Penser la réduction du temps de travail hebdomadaire à 4 jours, soient 32 heures par semaine. » (p.191).

Une petite histoire du revenu universel nous est contée pages 194/196.
La première formulation de cette utopie généreuse (et nécessaire…) est dans l’Utopia de Thomas More de 1516. Parmi les propagateurs de ce revenu indispensable à une partie croissante de la population, un peu plus tard un autre Thomas, Thomas Paine (1797), et sautant les siècles Wassily Leontief disait : « Quand la création de richesses ne dépendra plus du travail des hommes, ceux-ci mourront de faim aux portes du Paradis à moins de répondre par une nouvelle politique du revenu à la nouvelle situation technique ».
Cette nouvelle situation technique était déjà largement pressentie par Karl Marx dès 1857,1858 dans le célèbre Fragment sur les machines des Grundisse, cité et commenté par Yann Moulier Boutang dans son introduction (p.7). Dans ce texte Karl Marx fait valoir que le temps de travail ne détermine plus la mesure de la valeur. En conséquence l’économie « l’effondrement de la production basée sur la valeur d’échange » et, donc au communisme. Mouais,… en la période, c’est plutôt le capitalisme libéral qui a le vent en poupe... Durant la période transitoire, il faut encore parler un peu pognon.
« Le revenu de base peut être appréhendé non pas comme un moyen de compenser une perte (celle d’un emploi), mais comme une véritable reconnaissance d’autres formes de création de valeur que le capitalisme cognitif reconnaît. » Bruno Teboul se réfère ici à l’économie de la pollinisation et du partage de Moulier Boutang, où telles des abeilles, les humains produisent tous par accident des richesses » (p.197) ?
Reste le problème qui n’est pas mince : quelle validation-acceptation sociale des « richesses » ainsi créées ?
Nonobstant, une reprise partielle de la taxe pollen est mise en avant par Bruno Teboul : « taxer les flux du Trading Haute Fréquence (et/ou nanotrading) et fiscalité des GAFAMI, NATU... »

« Sur le financement à proprement parler, si l’on se réfère au site du Mouvement Français pour un Revenu de Base (MFRB), on peut compter pas moins de huit méthodes pour financer une allocation de ressource universelle » (p.198).
Bien en deçà des calculs économiques, de la comptabilité vulgaire, le financement n’est pas un réel problème : des centaines de milliards ont été injectés dans l’économie en période de crise sanitaire. Ont-ils été soustrait à un épargne préalable ? Faut-il imaginer un monceau de billets de banque perdant du volume à chaque prélèvement ? Ou une monnaie numérique avant un affichage de chiffres décroissants ? Non, la création de monnaie est une décision politique qui trouve les moyens de sa mise en œuvre.

Crise de l’État Providence et millions de surnuméraires
« Rappelons que des millions de personnes ne pourront pas se reconvertir, car dépassées par la convergence exponentielle des sciences des sciences et des technologies[…] Sans compter la crise de l’Etat-Providence et les sérieux doutes que nous pouvons formuler sur notre capacité à indemniser dans 5 ou 10 ans 3,5 millions de chômeurs supplémentaires en France. On ne peut réduire une telle question de société à une querelle théorique en économie, à une question technique de financement ou à un simple débat d’idées. » (p.200).

Une postface de d’Ariel Kyrou ne ménage pas les politiques.
« Cet opuscule, Robotariat, Bruno Teboul devait l’écrire, qui plus est avant que se termine pour 5 ans en 2017 le cirque suranné mais omniprésent des élections de notre monarchie républicaine si imbécile et si inadaptée aux temps qui viennent. Sauf à accepter le cataclysme de l’ubérisation à tous les étages de nos sociétés Bruno Teboul prend date pour un autre « à venir ». (p.226).

Alain Véronèse.


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